
"Le christianisme est une composante solide et enracinée de cette terre, les extrémistes ne sont que des éléments marginaux. Ils n’ont leur place ni aujourd’hui, ni demain”, a déclaré à l’AFP Rajeh Rizkallah, enseignant de 50 ans, au lendemain de l’attentat qui a visé l’église Saint-Elie à Damas.
L’attaque, perpétrée dimanche dans le quartier de Dwelaa, a fait 25 morts et des dizaines de blessés, semant la terreur au sein de la communauté chrétienne de Syrie, qui a enterré mardi plusieurs des victimes.
Lors des funérailles de neuf d’entre elles, organisées dans l’église de la Sainte-Croix, le patriarche grec-orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient, Youhanna X, a fustigé un "massacre inacceptable" et critiqué les autorités, les appelant à "assumer leurs responsabilités". “Le crime odieux qui s’est produit à l’église Saint-Elie est le premier massacre en Syrie depuis les événements de 1860”, a-t-il déclaré, en référence aux massacres de chrétiens à Damas sous l’Empire ottoman. Il a également dénoncé la réaction officielle : “Hier, vous avez présenté vos condoléances par téléphone au vicaire patriarcal. Cela ne suffit pas.”
Neuf cercueils blancs ont été portés jusqu’à l’église, aux sons mêlés des youyous et des pleurs, devant un millier de fidèles, sous haute sécurité. Les routes menant au lieu de culte étaient bloquées et les abords étroitement surveillés.
Un groupuscule extrémiste sunnite peu connu, Saraya Ansar al-Sunna, a revendiqué mardi l’attentat dans un communiqué publié sur Telegram, affirmant qu’un de ses membres avait "fait exploser l’église Saint-Elie", évoquant une “provocation” sans fournir de détails. En mars, une altercation avait éclaté après que des habitants ont protesté contre la diffusion de chants islamiques via les haut-parleurs d’une voiture devant cette même église.
Les autorités islamistes, arrivées au pouvoir après la chute du président Bachar al-Assad en décembre, ont pour leur part rapidement imputé l’attaque au groupe jihadiste État islamique (EI). Lundi, plusieurs arrestations ont été annoncées dans le cadre d’une opération visant des cellules affiliées à l’EI. Le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Noureddine al-Baba, a affirmé que la cellule à l’origine de l’attentat "est officiellement affiliée à l’EI", et que "Saraya Ansar al-Sunna n’est pas un groupe indépendant, mais dépendant de l’EI". Il a précisé que l’auteur de l’attentat n’était pas syrien, mais venu avec un second kamikaze depuis le camp d’al-Hol, qui abrite des combattants de l’EI et leurs proches dans le nord-est du pays.
Saraya Ansar al-Sunna, de son côté, a rejeté cette version en la qualifiant de “fausse”, et a menacé de mener d’autres attaques.
Ce nouvel attentat survient dans un contexte de tensions confessionnelles accrues en Syrie, marquées notamment par des massacres de membres de la minorité alaouite – dont est issu Bachar al-Assad – et des affrontements avec des combattants druzes.
L’attaque ravive les inquiétudes quant à la capacité du pouvoir, dominé par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTS), à contenir les éléments les plus radicaux. HTS, autrefois affilié à Al-Qaïda, a rompu ses liens avec la nébuleuse jihadiste en 2016.
Selon le chercheur Aymenn Jawad al-Tamimi, Saraya Ansar al-Sunna pourrait être "une scission pro-EI issue principalement de déserteurs de HTS… et d’autres factions, mais qui opère actuellement de manière indépendante de l’EI". Il n’exclut pas non plus qu’il puisse s’agir “simplement d’un groupe écran de l’EI”. Une source interne au groupe, citée par le chercheur, indique que Saraya serait dirigé par un ancien cadre de HTS désabusé, et compterait parmi ses chefs un ex-membre de Hurras al-Din, branche syrienne d’Al-Qaïda, dissoute en janvier par décision gouvernementale.
D’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), Saraya Ansar al-Sunna avait déjà menacé les Alaouites et mené une attaque contre cette minorité dans la province de Hama plus tôt cette année. Le groupe est accusé d’avoir participé à des massacres en mars, qui auraient fait environ 1.700 morts, en majorité des civils alaouites.
La Rédaction (avec AFP)