Au Japon, la disparition annoncée des chrétiens cachés

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Sur l’île d’Ikitsuki, dans le sud du Japon, quelques anciens conservent une forme unique et secrète de christianisme transmise depuis les persécutions du XVIIe siècle. Ce trésor de foi, forgé dans la clandestinité, est en train de disparaître avec ses derniers gardiens.

Dans un petit sanctuaire discret d’Ikitsuki, au large de Nagasaki, des chrétiens vénèrent une image en apparence bouddhiste : une femme en kimono tenant un enfant. Derrière cette représentation se cache la Vierge Marie portant Jésus. À côté, un autre rouleau représente Jean-Baptiste en martyre. Bien loin des crucifix et icônes classiques, ces objets témoignent d’une foi dissimulée, cultivée dans la peur pendant plus de deux siècles.

Ces "chrétiens cachés" — Kakure Kirishitan en japonais — pratiquent une forme de christianisme méconnaissable, née des persécutions lancées au XVIIe siècle contre les missionnaires et convertis. Contraints à la clandestinité après l’interdiction du christianisme en 1614, ils ont survécu en transformant et dissimulant leurs rites dans des pratiques locales, explique l’agence de presse AP.

Après la levée de l’interdiction en 1873, beaucoup se sont convertis au catholicisme. Mais certains ont refusé d’abandonner leur foi hybride. Leurs chants en latin ancien, appelés Orasho, continuent de résonner parfois dans les maisons ou musées. "Ce n’est pas un culte de Jésus ou de Marie, mais une manière d’honorer nos ancêtres et leur persévérance", explique Masatsugu Tanimoto, 68 ans.

Chaque communauté possède ses objets sacrés : statues, bols, rouleaux peints. Leurs liturgies, transmises oralement, mêlent japonais ancien, portugais missionnaire et éléments bouddhistes. À Ikitsuki, les fidèles se réunissent encore pour des funérailles ou des prières saisonnières, mais leur nombre s’effondre. Les jeunes quittent l’île, les familles se dispersent, les rites s’estompent. Il ne reste plus que quatre hommes capables de réciter l’Orasho sur l’île. "Je l'ai appris de mon oncle quand j’avais 25 ans", raconte Tanimoto. Il conserve précieusement un cahier manuscrit de prières, écrit à l’encre de Chine, à la manière de ses ancêtres.

Sans clergé, sans structure, ce christianisme familial et communautaire peine à survivre. "Dans une société marquée par l’individualisme, il devient presque impossible de préserver cette tradition", observe le chercheur Shigeo Nakazono. Il collecte témoignages et objets pour constituer une mémoire avant qu’elle ne s’éteigne.

Pourtant, la fierté demeure. "Notre responsabilité n’est pas d’évangéliser, mais de rester fidèles à nos ancêtres", insiste Tanimoto. Conscient de l’inéluctable, il garde l’espoir que son fils perpétuera le souvenir de ce lien secret, entre foi et fidélité. Une prière, murmurée dans une langue oubliée, comme un dernier écho d’une Église des catacombes nippones.

Germain Gratien

Crédit image : Shutterstock / hyotographics

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