Un pasteur de jeunesse lutte pour empêcher les jeunes de rejoindre des cellules terroristes.
Chaque mercredi, David Mulanda quitte rapidement son poste d’enseignant dans un lycée pour rejoindre l’église Friends Church Tande, située à trois kilomètres de là, dans le comté de Kakamega, à l’ouest du Kenya.
À son arrivée, 25 adolescents âgés de 14 à 20 ans sont déjà dans le jardin de l’église, en train de répéter les chorégraphies qu’il leur a apprises. Les jeunes synchronisent leurs mouvements au rythme de la musique gospel diffusée par une enceinte Bluetooth portable. Mulanda leur donne des conseils pendant que les voisins les observent à distance.
Pour Mulanda, la danse n’est pas seulement un divertissement : elle peut aussi éloigner ces adolescents des extrémistes.
"Nous constatons une augmentation du nombre de jeunes séduits par des groupes dangereux comme al-Shabaab", explique-t-il. Beaucoup sont exposés à des contenus extrémistes en ligne et il estime que l’oisiveté rend les jeunes plus vulnérables à la propagande.
Mulanda et d’autres responsables de jeunesse cherchent à contrer le recrutement de jeunes Kenyans sans emploi par des groupes terroristes en leur offrant un cadre communautaire sain. Alors qu’al-Shabaab et d’autres organisations intensifient leur recrutement, en ligne et en personne, les églises multiplient les activités collectives afin d'éviter que les jeunes ne rejoignent des camps terroristes.
Selon Kibiego Kigen, directeur du Centre national de lutte contre le terrorisme du Kenya, le chômage et la faible qualité de l’éducation exposent les jeunes à la radicalisation. Si le chômage des jeunes a légèrement diminué depuis 2019, la Banque mondiale estime qu’il touche actuellement 12 % des 15-25 ans, soit deux fois plus qu’en 1990. D’autres études avancent des chiffres bien plus élevés, jusqu’à 67 %. Les jeunes femmes sont plus touchées que les hommes. (Seuls 53 % des adolescents kenyans accèdent au secondaire.) Une nouvelle génération de djihadistes kenyans compte davantage de femmes et de convertis du christianisme à l’islam.
Les terroristes ou leurs sympathisants séduisent les jeunes kenyans par des promesses d’emploi, de mariage ou de vie meilleure. Ils les incitent ensuite à se convertir à l'islam et à rejoindre le djihad. Une Kenyane, recrutée à 18 ans par une amie sous prétexte de lui trouver du travail en Somalie, a confié à The Conversation qu’elle s’était convertie après un intense endoctrinement religieux dans un camp d’al-Shabaab :
"Après quelques jours, j’étais épuisée… J’ai fini par l’accepter. Je pensais qu’il était juste de lutter pour notre liberté [musulmane]. C’était comme un devoir moral."
En 2018, Violet Kemunto, une chrétienne dans la vingtaine, s’est convertie à l’islam et a épousé le terroriste Ali Salim Gichunge. Le couple aurait participé à la planification de l’attentat de janvier 2019 contre le complexe DusitD2, un hôtel et immeuble de bureaux de luxe situé à Nairobi, la capitale kenyane. La fusillade a tué 21 personnes, dont Gichunge. Selon les services de renseignement, son mari lui avait promis une vie meilleure en Somalie après l'attentat. Au lieu de cela, elle vit aujourd'hui dans la misère.
D'autres jeunes kenyans trouvent refuge au sein des communautés chrétiennes. Harry Wafula, membre du Bethel Prayer Center de Likuyani, dans le comté de Kakamega, explique qu’il n’a pas trouvé de travail pendant deux ans après l’université et a dû accepter des petits boulots à Nairobi pour se nourrir. Des amis voulaient l’initier au bhang (cannabis), mais il a refusé.
Lorsque son église l’a embauché comme technicien pour son système de sonorisation et son studio d’enregistrement, il a retrouvé une certaine stabilité. "Je ne sais pas ce que je serais devenu si j’étais resté à Nairobi sans emploi", confie-t-il.
De nombreuses initiatives d’églises s’appuient sur la passion des Kenyans pour la musique — chorales, troupes de danse, groupes musicaux — pour mobiliser les jeunes. La Newlife Church, dans le comté de Trans-Nzoia, leur permet d’utiliser ses studios de musique et de vidéo. Lenox Barasa, 32 ans, professeur de lycée et membre de l’église, a investi une partie de ses économies pour soutenir la chorale de l’église, les Neema Singers. Le groupe a produit plus de douze chansons et, grâce à la vente de CD et à des concerts de bienfaisance, il peut acheter davantage de caméras et d’instruments.
Pendant les vacances scolaires, Mulanda organise presque chaque soir des répétitions de danse ou d’autres activités. Il enseigne aussi aux adolescents comment appliquer leur foi aux défis quotidiens. Lors de séminaires de trois jours, les jeunes se regroupent pour discuter de sujets comme le terrorisme ou les relations sexuelles hors mariage.
"Quand je constate que leurs approches convergent, je vois ce qui ronge mes jeunes", explique Mulanda. Il écoute leurs préoccupations, puis les enseigne à partir de la Bible.
Mulanda aide également des jeunes à quitter des gangs criminels. Il se souvient de trois femmes dans la vingtaine qui volaient des motos et des voitures. Elles se postaient devant les boîtes de nuit, attendant des hommes qui avaient garé leur véhicule et leur demandant de les prendre en stop. En chemin, elles prétextaient avoir besoin de téléphoner pour s'arrêter. Leurs complices les attendaient alors pour agresser les conducteurs et voler les voitures sous la menace d'une arme. Pendant le vol, les braqueurs frappaient s’en prenaient également aux jeunes femmes afin de dissimuler leur implication.
"L’une des filles a été tuée. Deux se sont échappées, et elles font maintenant partie de la chorale de l’église", raconte Mulanda, précisant que les deux sont devenues chrétiennes.
Il ignore souvent dans quels problèmes les adolescents de son groupe sont impliqués. Mais il pense que s'ils fréquentent l'église et y trouvent une communauté, ils auront moins de temps – et, espérons-le, moins d'intérêt – pour les groupes criminels ou radicaux.
"Ces jeunes considèrent les pasteurs de jeunesse comme des personnes avec qui ils peuvent parler de leur vie », explique Mulanda. Grâce à cette relation, ajoute-t-il, les jeunes prêtent attention « lorsque nous parlons des dangers de l'enrôlement dans le terrorisme d'al-Shabaab."
Pius Sawa
Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.