Comment un baptiste de Nazareth espère unir les évangéliques du monde entier

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Entretien avec Botrus Mansour, nouveau secrétaire général de l’Alliance évangélique mondiale. 

L’Alliance évangélique mondiale (AEM) a nommé la semaine dernière Botrus Mansour au poste de secrétaire général et directeur exécutif. C’est la première fois qu’un chrétien arabe prend la tête de cette organisation mondiale qui regroupe des alliances nationales et régionales représentant près de 600 millions d’évangéliques.

Le poste était vacant depuis la démission de l’ancien secrétaire général Thomas Schirrmacher pour raison médicale en mars 2024. En avril, Peirong Lin, secrétaire générale adjointe de l’AEM, confiait à Christianity Today que l’organisation cherchait un leader capable d’unir les évangéliques du monde entier dans un contexte de guerres et de divisions politiques. Parallèlement, l’AEM subissait des critiques pour certaines "ambiguïtés théologiques" et sa collaboration avec des protestants traditionnels et des catholiques.

Avocat de formation, Botrus Mansour est directeur opérationnel de la Nazareth Baptist School, ancien d’une église baptiste qu’il a cofondée à Nazareth et traducteur pour Christianity Today en arabe. Il a également occupé d’autres responsabilités au sein d’églises et d’organisations paraecclésiales, dont la Convention des églises évangéliques en Israël, l’Alliance des conventions évangéliques de Jordanie et de Terre sainte, Christian Schools in Israel, Advocates International, ou encore l’Initiative de Lausanne pour la réconciliation en Israël-Palestine.

Mansour, qui vit à Nazareth avec son épouse et leurs trois enfants adultes, explique que son identité d’évangélique arabe israélien — "une minorité au sein d’une minorité dans une minorité" — l’a préparé à relever ce nouveau défi en cette période de division. Il prendra officiellement ses fonctions lors de l’Assemblée générale de l’AEM en octobre.

Nous l’avons interrogé sur son parcours, son travail de réconciliation entre chrétiens arabes et juifs messianiques et ses projets pour relever les défis auxquels est confrontée l’Alliance. Cet entretien a été édité par souci de clarté et de concision.

Pourriez-vous nous parler de votre arrière-plan ?

Je suis né d’un père grec catholique et d’une mère grecque orthodoxe. Mes parents n’étaient pas religieux, même si ma mère, ancienne élève de la Nazareth Baptist School, y est ensuite devenue enseignante. Mon père, qui n’a terminé que la septième année, a étudié l’hébreu dans un kibboutz avant de devenir le premier Arabe palestinien à travailler pour un quotidien israélien en hébreu, d’abord avec HaOlam HaZeh, puis pendant trente ans avec Haaretz.

Je suis né à Nazareth en 1965, mais deux ans plus tard, lors de la guerre des Six Jours, le journal a demandé à mon père de couvrir la Cisjordanie et Jérusalem-Est en tant que journaliste arabophone. Nous avons alors déménagé à Jérusalem.

Après quatre ans, mon père a obtenu une bourse pour l’université d’Oxford. Nous avons donc déménagé là-bas pendant mes années d’études primaires et secondaires, avant de revenir à Nazareth en 1973. Ma mère a insisté pour que mes frères, sœurs et moi-même fréquentions la Nazareth Baptist School, où elle avait étudié et enseigné.

Comment êtes-vous devenu chrétien ?

Quand j’avais 11 ans, le professeur qui nous enseignait la Bible a observé que mes camarades et moi aimions jouer au football. Il nous a donc proposé de pouvoir jouer sur un terrain après l’école à condition d’assister à des réunions de réveil dans une église voisine. Nous avons accepté. Ce soir-là, le prédicateur américain a expliqué que la grâce de Dieu n’est pas quelque chose que l’on mérite, mais que l’on reçoit. J’ai répondu à l’appel pour la première fois. Mais j’étais encore jeune, et je ne pense pas avoir été vraiment engagé.

Trois ans plus tard, un prédicateur libano-américain est venu prêcher lors d’une autre campagne d’évangélisation. Son style consistait à effrayer les gens en leur racontant des histoires dramatiques de personnes mortes dans un accident après avoir refusé d’accepter Jésus. C’est à ce moment-là, en 1979, que j’ai donné ma vie au Seigneur. J’ai ensuite rejoint le groupe de jeunes de mon lycée. Il y a eu des hauts et des bas, mais, grâce à Dieu, je marche toujours avec Lui.

Après le lycée, vous avez étudié le droit à l’Université hébraïque de Jérusalem, où vous avez rencontré votre épouse, A’bir, et vous vous êtes impliqué dans une organisation chrétienne étudiante appelée la Fellowship of Christian Students in Israel (FCSI). En quoi les liens établis avec des personnes de différents horizons vous ont-ils sensibilisé à l’importance de la réconciliation entre chrétiens ?

Je pense qu’il est non biblique et irréaliste de se dire : "Je ne vais rencontrer que des gens comme moi." Nous vivons dans un pays marqué par la division entre Palestiniens et Israéliens. Mais le corps de Christ réunit des Arabes palestiniens, des Juifs messianiques et des expatriés vivant dans le pays. L’une des forces de la FCSI, c’est d’avoir des groupes pour les chrétiens arabes et pour les juifs messianiques et des rencontres communes. Il y a parfois eu des tensions, mais, globalement, c’est un bon modèle de partenariat.

Comme mon père travaillait avec des journalistes juifs, nous avions l’habitude de recevoir des Juifs à la maison. Je n’ai donc pas grandi dans la méfiance ou l’hostilité envers eux, contrairement à ce qui peut être courant en raison du conflit en cours. Pour moi, c’était naturel. Nous n’avons pas d’autre choix que de vivre ensemble, Arabes et Juifs. Entre croyants, il est encore plus important de vivre ce témoignage.

Bien sûr, ce travail n’est pas toujours facile. En temps de guerre, chaque groupe s'accroche souvent à des attitudes nationalistes, et même les croyants n’y échappent pas. On ressent le poids et l’amertume, même au cœur de relations fraternelles sincères.

En 2016, l'Initiative de Lausanne pour la réconciliation en Israël-Palestine, que vous coprésidiez, a organisé une conférence réunissant 30 chrétiens palestiniens et juifs messianiques pour rédiger et signer la Déclaration de Larnaca affirmant leur unité en tant que croyants. Considérez-vous cette tentative de réconciliation et d'autres comme un succès ?

La rencontre de Lausanne s’est bien passée, même si certains sont repartis en estimant que nous n’avions guère avancé. Par moments, les débats ont été vifs, notamment autour de la déclaration. Mais cela a été utile.

Par le passé, nous avons déjà organisé plusieurs conférences réunissant Arabes et Juifs pour partager ouvertement nos récits, nos rêves, nos espoirs, mais aussi nos peurs. Souvent, on craint l’autre comme s’il était un monstre. Mais chaque être humain est créé à l’image de Dieu.

En fin de compte, personne ne devrait se sentir blessé personnellement : il est normal que la discussion soit difficile, car le sujet l’est aussi. J’aime profondément mon peuple palestinien, et je souffre de ce qui se passe à Gaza. Mais cela ne m’empêche pas de dialoguer avec mes frères et sœurs juifs messianiques et de chercher à comprendre leurs convictions.

Comment votre expérience face aux divisions dans votre pays vous prépare-t-elle à votre nouveau rôle à la tête de l’AEM ?

En vivant en Israël, le Seigneur m'a préparé à aimer et à être sensible et ouvert aux autres. J’ai des élèves musulmans dans mon école, des amis et des voisins musulmans. Je collabore avec d’autres chrétiens, notamment ceux d’églises non évangéliques, ainsi qu’avec des Juifs.

La Bible dit que l’amour parfait chasse la peur (1 Jean 4.18). Si vous avez l’amour du Christ, vous pouvez dialoguer avec n’importe qui, qu’il soit musulman ou juif ultraorthodoxe. Cela ouvre la voie au rapprochement et à la compréhension mutuelle.

En tant qu’évangélique, je suis une minorité parmi les chrétiens arabes, eux-mêmes minoritaires parmi les Arabes, et les Arabes sont une minorité en Israël. Chacune de mes identités — évangélique, chrétienne, arabe, palestinienne — peut entrer en contradiction avec une autre à cause de ses implications politiques, sociales et théologiques. Mais mon identité en Christ les transcende toutes et apporte l’harmonie au milieu des contradictions. Elle me motive à apporter la paix entre les gens et Dieu, ainsi qu’entre les croyants.

Quel rôle l’AEM devrait-elle jouer en cas de conflit entre différentes alliances évangéliques nationales, comme entre Israël et la Palestine ou entre la Russie et l’Ukraine ?

Nous devons faire preuve de tolérance envers nos frères et sœurs qui ont des points de vue différents, car nous avons quelque chose de plus grand en commun : notre foi, notre amour pour Jésus, notre attachement à la Bible et notre désir que les gens connaissent Jésus.

Jésus s’est assis avec la femme samaritaine au puits — avec son passé et son histoire — et avec les collecteurs d’impôts. Si Jésus traitait ainsi les non-croyants, combien plus devons-nous prêter attention à nos frères et sœurs croyants ? Ne pourrions-nous pas être un peu plus ouverts, un peu plus tolérants les uns envers les autres sur des questions secondaires ?

Jésus a dit que les gens nous reconnaîtront à notre amour les uns pour les autres (Jn 13.35). Si nous pouvons différer sur la politique ou la théologie tout en nous aimant, cela sera un grand témoignage pour ceux qui sont en dehors de notre monde évangélique.

Certains évangéliques sont en désaccord avec l’implication de l’AEM dans le dialogue interconfessionnel ou la collaboration avec des groupes chrétiens non évangéliques. Quel est, selon vous, le rôle de l’Alliance dans ce travail ?

Le dialogue interconfessionnel est positif, mais il ne doit pas être le centre des activités de l’AEM. Notre priorité reste de travailler avec nos alliances nationales et régionales.

Dialoguer avec les catholiques ou avec le Conseil œcuménique des Églises ne nous nuit pas. Cela ne signifie pas que nous devenons comme eux ou qu’ils deviennent comme nous, mais au moins, cela ouvre un canal de communication. Il en va de même avec d’autres groupes religieux.

C’est particulièrement important pour les évangéliques vivants dans des pays où ils sont minoritaires. "Interconfessionnel" n’est pas un gros mot. Il ne s’agit pas de créer une foi unifiée. Nous avons des croyances différentes. Nos convictions sont fortes. Nous croyons en la Bible ; nous croyons en Jésus. Si nous pouvons être une bénédiction et ouvrir des voies de coopération, ce n'est pas une mauvaise chose.

Pourquoi l’AEM est-elle encore pertinente aujourd’hui ?

Elle représente des centaines de millions d’évangéliques dans le monde. Avec le conseil de personnes plus avisées que moi, je m’efforcerai de porter la voix de la majorité des évangéliques sur des sujets comme la liberté religieuse, le caractère sacré de la vie, la paix et la justice.

Les défis des évangéliques en Amérique, en Chine, en Israël ou en Angola sont très différents. Je laisse à l'alliance nationale de chaque pays le soin d'identifier leurs difficultés et d'essayer d'y faire face, mais nous les encouragerons et, si possible, les soutiendrons.

Dans les pays où les évangéliques sont minoritaires, beaucoup sont confrontés à des restrictions en matière de liberté religieuse. Nous pouvons apporter notre aide, par exemple en dialoguant avec les autorités ou en sollicitant l’aide d’une alliance d’un autre pays. Nous pouvons également mobiliser les évangéliques du monde entier pour prier.

Comment les croyants peuvent-ils prier pour vous dans cette nouvelle responsabilité ?

J’aimerais que les gens prient pour que je puisse bien remplir ce rôle, qui est très sensible et important. Que je puisse encourager l’Église et rassembler les croyants, les églises et les alliances, ce serait formidable.

Le poste impliquera beaucoup de déplacements, donc priez pour ma santé physique. Je ferai aussi face à de fortes pressions psychologiques et spirituelles.

Je veux accomplir la volonté du Seigneur. Je peux dire avec confiance qu’Il a ouvert cette porte de manière incroyable et pour des raisons qu’il révélera à son rythme. Mon souhait est d’accomplir cette tâche de la meilleure manière possible afin de faire avancer le royaume.

Angela Lu Fulton

Un article de Christianity Today. Traduit et adapté avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.

Crédit image : WEA

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