De fer et de feu : les métaux de Notre-Dame à travers les siècles

shutterstock_2153947593.jpg

Les recherches menées depuis une vingtaine d’années ont montré que les cathédrales gothiques du XIIIe siècle, comme Bourges, Chartres, Rouen ou Troyes utilisaient le fer comme matériau de construction. Les grandes églises du XIIe siècle demeurent en revanche relativement méconnues.

L’incendie de Notre-Dame de Paris a révélé que la structure de la cathédrale, élevée à partir des années 1160, était également renforcée de nombreuses armatures de fer. Certaines d’entre elles, masquées dans la pierre ou par la charpente, étaient jusqu’à présent inconnues.

Les méthodologies développées depuis plus d’une vingtaine d’années et déjà éprouvées sur plusieurs dizaines d’édifices médiévaux permettent de questionner les fers de construction découverts à Notre-Dame afin de renouveler la connaissance de cet édifice et des techniques de construction anciennes, mais aussi celle de l’économie du fer à l’époque médiévale.

Plusieurs dizaines d’armatures de fer, abîmées par l’incendie ou déposées lors des restaurations, peuvent aujourd’hui être scrutées sous l’œil de microscopes optique et électronique. Il s’agit à la fois d’« agrafes » mises en œuvre dans la maçonnerie, dans les tribunes, dans les colonnes monolithes, et au sommet des murs sous la charpente incendiée, mais aussi d’armatures liées à la charpente elle-même (clous de tailles diverses, tiges clavetées et boulonnées) qui témoignent des restaurations au fil des siècles.

Pièce en fer visible au sein des pierres de Notre-Dame de Paris
Système de chaînage en fer posé par Lassus en 1846 faisant le tour des parties orientales de l’édifice (chœur et transept est).
Maxime L’Héritier, Fourni par l’auteur

Les microstructures de ces éléments métalliques renferment une partie de l’histoire de Notre-Dame de Paris et de son chantier, qu’explorent aujourd’hui les archéologues, chimistes et archéomètres – les spécialistes de l’analyse physico-chimique des matériaux anciens, réunis au sein du groupe de travail Métal du chantier scientifique Notre-Dame.

Quels métaux pour les bâtisseurs de cathédrales ?

La première question est celle de la qualité du métal employé par les bâtisseurs. Quels choix ont-ils faits tant à l’époque médiévale qu’au cours des restaurations ? L’incendie a-t-il altéré les propriétés de ces fers de construction ? L’observation de surfaces polies au microscope optique, après attaque avec des réactifs chimiques spécifiques permet de révéler la microstructure de ces alliages ferreux, leur mise en forme (replis, soudures…) et d’évaluer leur degré d’hétérogénéité.

[Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Les fers anciens sont en effet souvent hétérogènes, en lien avec les procédés de production utilisés, notamment les bas fourneaux, qui ne permettent pas une production du fer en phase liquide avant le milieu du XIXe siècle. Ils contiennent en particulier des teneurs variables en carbone ou en phosphore (les deux principaux éléments qui se combinent au fer), formant des matériaux composites entre fer, acier doux et fer phosphoreux.

Des tests de dureté peuvent être réalisés pour connaître leurs duretés respectives. Ces fers anciens contiennent également de nombreuses impuretés non métalliques, appelées « inclusions de scories », qui sont autant de points faibles dans la structure du matériau.

Pièce en métal provenant des murs de Notre-Dame
Agrafe de fer provenant du sommet des murs de la cathédrale déposée avant étude. L’agrafe était scellée au plomb dans la maçonnerie (un des scellements subsiste).
Maxime L’Héritier, Fourni par l’auteur

À partir de prélèvements d’objets entiers, il est possible d’usiner des éprouvettes de traction, c’est-à-dire des pièces de fabrication et de dimensions normalisées, pour leur faire subir des essais mécaniques et déterminer les propriétés physiques de ces matériaux (module d’élasticité, résistance à la traction, allongement à rupture…). À Notre-Dame, les analyses ont pu montrer que le fer médiéval, tout comme celui mis en œuvre au XIXe siècle, a des propriétés mécaniques moindres que celles des alliages contemporains, à l’instar de ce qui a déjà pu être établi sur d’autres monuments médiévaux et modernes.

L’incendie ne semble toutefois pas avoir altéré la microstructure du fer ni ses propriétés mécaniques, déjà limitées. Ces informations peuvent servir à la restauration et alimenter les réflexions autour du remploi de ces matériaux.

Mieux comprendre la chronologie de la construction

La deuxième question concerne la chronologie des armatures mises en œuvre.

Les faibles quantités de carbone présentes dans les zones aciérées de ces alliages ferreux (l’acier est un alliage fer-carbone) permettent d’accéder à des données cruciales en matière de datation. On sait en effet aujourd’hui extraire ce carbone, qui provient du charbon utilisé dans le fourneau de réduction ayant produit le fer, pour en réaliser une datation au carbone 14.

Les zones aciérées révélées par l’attaque métallographique sont prélevées avec un foret, puis le carbone en est extrait par combustion et récupéré sous forme gazeuse (CO2) et enfin réduit en graphite. La spectrométrie de masse avec accélérateur de particule (AMS) réalisée au LMC14 permet ensuite de déterminer la quantité de carbone 14 restante et de la comparer aux courbes de référence pour déterminer l’âge du matériau et en déduire la période de production du fer.

Vue par microscopie d’un échantillon de métal de Notre-Dame
Coupe métallographique d’une agrafe de fer de Notre-Dame de Paris vue au microscope optique après attaque au réactif Nital. On voit en clair les zones ferritiques et en foncé les zones plus aciérées (notamment une bande médiane allant jusqu’à 0,8 % de carbone). On remarque aussi la présence de nombreuses inclusions non métalliques de taille micrométrique à millimétrique allongées dans le sens du martelage.
Maxime L’Héritier, Fourni par l’auteur

Cette technique, développée il y a moins d’une dizaine d’années pour dater les alliages ferreux anciens, permet de distinguer des armatures contemporaines de la construction de celles rajoutées a posteriori au titre de consolidations.

Par exemple, la comparaison de la datation des agrafes mises en place dans les tribunes du chœur (construites vers 1160-1170), celles de la nef, plus tardives, et celles du sommet des murs élevés au début du XIIIe siècle, permettra également d’éclairer l’insertion progressive de ce matériau dans le bâti et de reconstituer les réflexions des bâtisseurs qui l’ont mis en œuvre.

De même, dans la charpente, maintes fois remaniée et où de multiples armatures sont utilisées, la datation permettra de mettre en lumière les phases de restauration antérieures au XVIIe siècle, encore totalement méconnues, en croisant ces informations avec l’étude des bois réalisée en parallèle.

D’où vient le fer de Notre-Dame ?

La troisième interrogation concerne la provenance de ces matériaux. Où ces tonnes de fer ont-elles été produites ? Comment le chantier de construction était-il approvisionné en métal au XIIe siècle, au XIIIe siècle et pour les campagnes ultérieures ; sous quelles formes circulaient ces fers ?

On sait en effet que le fer circulait au Moyen Âge dans les deux sens sur la Seine et pouvait aussi être approvisionné par voie de terre ; il aura pu être produit par des domaines de l’évêché ou du chapitre cathédral (le collège de chanoines en charge de la gestion de l’édifice), et particulièrement dans les nombreux domaines situés dans toute l’Île-de-France actuelle.

Il n’est en outre pas rare que plusieurs sources, locales et plus lointaines, soient mêlées au gré des campagnes de construction. Les soudures observées dans la matrice des fers de Notre-Dame suggèrent l’assemblage de plusieurs pièces pour fabriquer chaque agrafe, dont les origines sont peut-être différentes. Les impuretés contenues dans ces alliages ferreux permettent d’aborder cette question de la circulation de ces matériaux.

Dans les procédés de production anciens en bas fourneaux, majoritairement employés jusqu’à la fin du Moyen Âge, le fer, produit à l’état solide, emporte dans sa matrice des petits fragments de scories (le déchet de la réduction), appelées inclusions de scories, dont la composition est tributaire de la fraction non réduite du minerai utilisé.

L’analyse chimique de ces inclusions, réalisée par spectrométrie de masse couplée à un module d’ablation laser, qui facilite l’analyse de volumes d’un diamètre compris entre 30 et 100 micromètres, permet d’accéder à leur composition en éléments traces.

Cette composition peut être comparée au moyen d’outils statistiques à celle des macroscories rejetées par les métallurgistes sur les sites de production.

Ainsi, une vaste investigation archéologique doit être menée en parallèle, en s’appuyant sur les découvertes existantes dans la région, afin d’identifier les sites à scories ayant pu fournir ce fer et d’y réaliser les analyses nécessaires pour établir ces comparaisons de signatures chimiques.

L’enquête ne fait que commencer.

Maxime L’Héritier, Maître de conférences en histoire médiévale, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image :  Shutterstock.com / godongphoto / La cathédrale Notre-Dame de Paris après le feu, France, 30 juin 2019


Articles récents >

L'Église catholique du Sri Lanka perd confiance dans l'enquête sur les attentats de Pâques

outlined-grey clock icon

Les nouvelles récentes >