« Dieu est amour », l’encyclique de Benoît XVI sur la source de la foi chrétienne

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En un peu plus de 26 ans de pontificat, Jean-Paul II a publié 14 encycliques, le Pape Benoît XVI n’en a rédigé que trois en huit ans. S’il a largement contribué à l’encyclique Veritatis Splendor de son prédécesseur et n’a pas pu achever Lumen Fidei publié par son successeur, François, Benoît XVI a insisté sur les vertus théologales, notamment sur l’amour dans son encyclique Deus caritas est (Dieu est amour) . 

Dans son premier livre d’entretien avec le journaliste Peter Seewald, « Le sel de la terre » (Flammarion, 1997), le futur Benoît XVI, alors cardinal Ratzinger, mentionne les conflits de préséance entre les disciples du Christ et leur oppose le choix de ce dernier de leur laver les pieds. « C’est cela, le sacerdoce », indique le théologien pour qui les vertus pauliniennes (relatif à l’apôtre Paul NDLR) de foi, d’espérance et  de charité importaient.

Sans l’amour, la fraternité est négative, à l’instar de celle de Caïn et Abel, explique-t-il à Seewald, précisant que « la fraternité elle aussi doit pour ainsi dire être sauvée et passer par la croix afin de trouver sa juste forme ». Sa lettre encyclique Deus caritas est approfondit cette question de la distinction entre une fraternité purement humaine, aussi bonne fût-elle, et la charité chrétienne qui demande au croyant d’agir dans le monde, mais sans activisme qui ne reviendrait soit à faire que du social, soit à n’être que prosélyte.

Rendue publique durant le premier mois hivernal de 2006, l’encyclique ne cesse d’énoncer la chaleur de l’amour divin et chrétien. Ce texte a pour incipit un verset de la première épître de Jean : « Dieu est amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui » (1 Jean 4, 16). Ici, il n’est point seulement question de thème relatif à la foi chrétienne, contrairement à la plupart des encycliques, mais de l’origine même de cette foi : « Dieu ».

Le pape s’attache à ramener l’amour à son expression évangélique, mais également à l’Ancien Testament en le confrontant aux conceptions grecques, aux expériences de charité contemporaines non chrétiennes. Il pointe aussi le manque d’amour dans la critique marxiste qui, si elle met en lumière avec raison les injustices dans la société, dénonce à tort la charité au profit de la révolution.

Les trois formes d’amour non exclusives l’une de l’autre

Dans ce texte présenté en deux grandes parties, Benoît XVI s’efforce de « parler de l’amour dont Dieu nous comble et que nous devons communiquer aux autres ». Le pape entend ainsi opposer cet amour à l’idée d’un Dieu haineux. Il rappelle la distinction entre les trois formes d’amour dans le lexique grec – eros, philia (amitié) et agapè – qu’il resitue dans l’économie biblique.

Philia, observe-t-il, est présent dans les relations entre le Christ et ses disciples. Eros, l’amour entre l’homme et la femme, n’apparaît que deux fois dans l’Ancien Testament, tandis que le Nouveau mentionne Agapè « qui dans la langue grecque était plutôt marginal ».

Cependant, explique-t-il, cette mise de côté de l’eros dans la seconde partie de la Bible n’a rien à voir avec l’idée que « le christianisme lui aurait donné du venin à boire » en le présentant comme un vice, ainsi que l’affirme le philosophe Friedrich Nietzsche. Au contraire, le christianisme ne prive pas l’homme de la plus belle chose de la vie corporelle, la sexualité, mais la replace dans un plan global d’amour qui ne la pervertit pas à l’opposé de la prostitution sacrée dans diverses civilisations antiques où ces femmes n’étaient pas traitées comme des êtres humains mais étaient « seulement des instruments pour susciter la folie divine ». On pensera aux mille prostituées du sanctuaire d’Aphrodite.

Pour Benoît XVI, « l’eros ivre et indiscipliné n’est pas montée, ‘extase’ vers le Divin, mais chute, dégradation de l’homme ». Toutefois, le souci de l’âme ne doit pas exclure le corps, car c’est seulement lorsque les deux sont compris en une unité que l’homme devient pleinement lui-même. C’est dans cette acception holistique que l’homme peut réellement aimer sans égoïsme. Et c’est dans cette perspective que la Bible utilise des images relatives aux fiançailles et au mariage pour parler du lien entre Dieu et son peuple, dans les livres d’Osée ou d’Ezéchiel, souligne-t-il, parlant même de « passion » pour ce peuple.

Cet amour, énonce le pape, trouve « sa forme la plus radicale » dans le sacrifice du Christ qui « se donne pour relever l’homme et le sauver ». Il ne s’agit pas d’une idée nouvelle, mais d’un « agir de Dieu » qui recherche l’humanité souffrante et égarée.

L’amour chrétien commande le témoignage chrétien et non la seule justice sociale

Ce sacrifice que les catholiques retrouvent dans l’Eucharistie éprouve socialement les croyants qui sont unis dans la communion sacramentelle comme tous ceux qui communient :

« La communion me tire hors de moi-même vers lui et, en même temps, vers l’unité avec tous les chrétiens. Nous devenons ‘un seul corps’, fondus ensemble dans une unique existence. L’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain sont maintenant vraiment unis. »

Mais si le chrétien doit la charité à son frère, il la doit également à son prochain, et ce prochain est « celui qui a besoin de moi » dans cette nouvelle perspective.

Cependant, ce souci de l’autre ne saurait devenir un activisme purement social ou politique. Benoît XVI rappelle le mot de Saint Augustin : « Tu vois la Trinité quand tu vois la charité ».

Cette charité catholique – et plus largement chrétienne, comme le mentionne le pape qui cite le travail « d’autres Églises et Communautés ecclésiales » - implique une triple tâche pour l’Église catholique : l’annonce de l’Évangile, la célébration des Sacrements et le service de la charité.

L’encyclique met, en outre, en garde contre la réduction de la charité à « une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait aussi laisser à d’autres ».

En effet, le pape réputé pour sa critique de la théologie de la libération précise « l’amour -caritas - sera toujours nécessaire, même dans la société la plus juste ». Benoît XVI, soucieux de l’articulation entre justice politique et amour chrétien, a notamment rappelé cette distinction quand il a reçu les volontaires de la protection civile nationale italienne : « l’amour du prochain ne peut pas être délégué : l’État et la politique, même avec le soin nécessaire pour la protection sociale (welfare), ne peuvent pas le remplacer ».

Dans cette veine, le pape dénonce le marxisme qui, s’il repère des injustices, se contente de proposer une justice politique et sociale en dédaignant la charité qu’il considère comme outil pour maintenir la domination des plus riches, et préfère des lendemains qui chantent à l’action charitable immédiate.

Si le chrétien est encouragé à participer à la politique pour rendre la société plus juste, il l’est également à prendre part aux services de charité, car son aide présente une particularité complémentaire à la générosité humaine :

« La compétence professionnelle est une des premières nécessités fondamentales, mais à elle seule, elle ne peut suffire. En réalité, il s’agit d’êtres humains, et les êtres humains ont toujours besoin de quelque chose de plus que de soins techniquement corrects. Ils ont besoin d’humanité. Ils ont besoin de l’attention du cœur. »

C’est pourquoi, explique l’encyclique, il importe que la préparation professionnelle soit accompagnée de la « rencontre avec Dieu dans le Christ qui suscite en eux l’amour » afin que leur amour du prochain « soit une conséquence découlant de leur foi ».

Benoît XVI, né Joseph Ratzinger, est décédé samedi à 95 ans. Ses funérailles ont eu lieu ce jeudi 5 janvier place Saint-Pierre à Rome.

Jean Sarpédon

Crédit image : Shutterstock / vipflash »

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