Évangile de la prospérité : entre fausse doctrine et manipulation des fidèles

Évangile de la prospérité  la manipulation des fidèles

Jets privés, résidences luxueuses, écrans géants montrant visages des leaders durant leurs prêches, demandes incessantes d’argent, pleine autorité des pasteurs sur leurs fidèles, telles sont certaines des caractéristiques plus ou moins partagées des églises défendant l’évangile de la prospérité, assimilant foi et succès matériel et santé. Surtout présentes outre-Atlantique et en Afrique, les assemblées prêchant cette doctrine se développent en Europe, notamment en France où le CNEF dénonce leur idéologie.

Si les mots "évangile de la prospérité" évoquent tout de suite des megachurches dirigées par des célébrités richissimes telles que Benny Hinn ou Joel Osteen en Amérique du Nord, il en existe également des petites, même en Europe. Les mêmes codes se retrouvent dans ces diverses congrégations où les discours sont auto-validés par les prédicateurs censés posséder des charismes particuliers et dont les conjoints ont également une importance démesurée dans l’église qui s’efforce de leur obéir, acheter leurs livres et autres "goodies", en croyant leurs récits extraordinaires et leurs promesses.

L’échec de ces dernières ne saurait s’expliquer que par un défaut de foi ou de morale du fidèle invité à se remettre en question. Le même schéma se retrouve en matière de santé qui n’est pas considérée comme un aspect de la condition humaine : la personne malade aurait un péché dans sa vie ou manquerait de foi.

"Donnez-moi 500 euros pour trouver un emploi !"

"Qui veut une bénédiction du pasteur ? Ceux qui ont donné 100 euros, avancez-vous, je vais vous donner une bénédiction spéciale !", se souvient horrifiée Isabelle (pseudonyme) qui a fréquenté une église ethnique d’origine africaine où l’on prêchait cette doctrine. Dans cette assemblée gouvernée par un couple dans l’ouest de la France, il y avait un canapé en velours rouge sur l’estrade : "Lorsque le mari prêchait, son épouse y était assise et inversement", raconte Isabelle, montrant ainsi la position de supériorité du couple sur le reste de la congrégation.

Le pasteur n’hésitait pas à passer des contrats spirituels avec les chômeurs, demandant 500 euros aux demandeurs d’emploi pour qu’il prie en leur faveur. "Il a demandé à deux jeunes filles de témoigner des bénédictions reçues et leur a demandé de déposer, chacune, une enveloppe de 500 euros dans sa corbeille… personnelle, alors qu’approchait Noël", relate Isabelle.

Selon lui, les fidèles qui donnaient de l’argent à "l’homme de Dieu" étaient bénis au centuple. Une idée notamment enseignée par l’épouse du télévangéliste Kenneth Copeland, Gloria, dans son livre "God’s Will is prosperity" (La volonté de Dieu, c’est la prospérité), comme le dénonce le média évangélique The Gospel Coalition.

Interprétant abusivement un verset de l’Évangile de Marc (chapitre 10, verset 30) où le Christ parle de bénédiction au centuple sans aucunement mentionner l’argent, Copeland assure que celui qui donne 10 dollars en recevra 1000 et ainsi de suite. Sans tenir compte des versets précédents mettant en garde contre les risques de la richesse.

Un dimanche, le pasteur d'Isabelle a demandé que chaque fidèle de sa petite assemblée donne 10 euros pour qu’il puisse signer un drap blanc, il a dit après avoir reçu cette somme d’une quarantaine de personnes qu’il dormirait sur le drap pour bénir les donateurs. Si la bénédiction promise n’est pas au rendez-vous, c’est dû à un manque de foi du fidèle, professe t-il. Ironie de la situation, le pasteur racontait aux fidèles que, dans une ancienne vie, il dépouillait les passagers dans le métro parisien, ce qui lui avait valu un séjour en prison.

Un public scotché malgré des abus manifestes

Le train de vie fastueux des pasteurs de ces mouvements est dénoncé par des médias et organisations évangéliques, tels que la Trinity Foundation qui expose les fraudes de télévangélistes et l’enrichissement indu, le train de vie somptueux, par exemple les maisons valant plusieurs millions de dollars mises à disposition des pasteurs par les églises ou qui appartiennent à ces derniers.

Ainsi, la propriété du pasteur de la Potter’s House en Virginie-Occidentale T.D. Jakes était évaluée à 4,4 millions de dollars en 2021, celle de Joel Osteen à 10,5 millions ou celle de Kenneth Copeland à près de 11 millions en 2020. La demande de dons du télévangéliste américain Jesse Duplantis, déjà propriétaire de trois avions, pour s’acheter un quatrième jet afin d’apporter la bonne parole dans le monde avait attiré l’attention des médias hors des États-Unis. Si ces abus sont documentés au point qu’ils devraient rebuter, le danger existe, car ces prédicateurs peuvent trouver un public naïf.

Si Isabelle a quitté l’église au bout de quelques mois, après avoir confronté le pasteur à la Bible, les fidèles restent majoritairement, croyant que ce schéma est justifié, et l’origine ethnique peut n’est pas sans importance dans cette acceptation. Les assemblées prêchant la prospérité ne poussent pas toutes leurs excentricités au niveau de celle d'Isabelle, mais on retrouve les mêmes constantes : les promesses financières et la crédulité des fidèles convaincus la biblicité de ces pratiques. De plus, relate Isabelle, la peur est également un liant : "Le pasteur (qui parlait beaucoup de la sorcellerie en Afrique) a pointé du doigt l’assemblée et prédit que quelqu’un dans la famille de l’un des fidèles mourrait avant la fin de l’année à cause de son refus de reconnaître Jésus."

"Les églises ethniques peuvent être touchées en raison d’une culture – répandue dans leurs pays d’origine – relative au fonctionnement ecclésial et aux rôles pastoraux qui favorise la concentration du pouvoir aux mains d'un pasteur réputé pour son « charisme », et notamment en raison de son "succès", signe tangible de la "bénédiction divine", observe Philippe Gonzalez, maître d'enseignement et de recherche en sociologie de la communication et de la culture à l'Université de Lausanne.

Ce spécialiste de la religion dans l’espace public, notamment des mouvements évangéliques, tient cependant à rappeler la présence en France de megachurches qui ne s’adressent pas à une population issue de la migration, dans lesquelles le pasteur et son discours sur la guérison sont aussi importantes que dans les églises de la prospérité, ce qui peut favoriser une certaine porosité même si elles ne prêchent pas la bénédiction financière. Notamment à l’occasion de tournées de promoteurs de cette doctrine en Europe, tels que Joyce Meyer ou Benny Hinn en région parisienne ou en Normandie où sont implantées des églises de la prospérité.

Un risque non négligeable de porosité

La porosité peut se faire au niveau des fidèles, mais aussi des appareils, "les appuis institutionnels qui garantissent l’encadrement des charismes peuvent sauter", souligne Philippe Gonzalez qui cite l’exemple de l’Église libre de Genève dans les années qui ont suivi Toronto, au gré d’une montée de tendance Nouvelle Réforme Apostolique". Lorsque la "bénédiction de Toronto" apparut en 1994 dans l’église charismatique Vineyard dans la ville canadienne éponyme, le "réveil" traversa l’Atlantique et des chrétiens évangéliques, mais aussi catholiques, s’empressèrent d’assister aux réunions de ce genre en Europe où l’on prêchait des visites d’anges ou la transformation de dents en or. "Il s’agit donc d’une culture ecclésiologique susceptible de s’éroder – comme dans n’importe quelle institution", souligne le sociologue. Et ce qui est arrivé à des églises avec la "bénédiction de Toronto" peut se produire avec l’évangile de la prospérité.

Le risque que des fidèles évangéliques, voire des congrégations rejoignent cette doctrine est favorisée par une méconnaissance des fondements théologiques des dénominations traditionnelles ou par des sermons non liés à l’évangile de la prospérité, mais qui s’en rapprochent. Un sondage publié par le magazine Time en 2006 a révélé que 17 % des chrétiens américains s’identifiaient clairement à ce mouvement, tandis que 31 % adhéraient à la croyance selon laquelle "si vous donnez votre argent à Dieu, Dieu vous bénira avec davantage d'argent". 61 % étaient d'accord avec l'idée plus générale selon laquelle "Dieu veut que les gens soient prospères".

Le défaut d’étanchéité est également dû à des enseignements selon lesquels "la prospérité commence par le fait d’être en bonne santé, auxquels s’ajoute tout le reste, travail, finances et bien sûr un passage de l’Évangile de Luc (chapitre 6, verset 38 : "Donnez et il vous sera donné ") ", constate Christine qui a fréquenté une église ne se réclamant pourtant pas de l’évangile de la prospérité dans l’Oklahoma, aux États-Unis. Les pasteurs y enseignent "surtout le fait de donner en temps de manque, car c’est là que la provision intervient", rapporte-t-elle en précisant qu’ils utilisent à cette fin l’histoire de la veuve de Sarepta mentionnée dans l’Ancien Testament (1 Rois, chapitre 17) qui donna le peu qu’elle avait au prophète Élie affamé avant de recevoir en abondance.

Philippe Gonzalez a ainsi pu observer que les "idées de rétablissement entier de la personne (spirituel, physique et matériel" ont même été proclamées par des pasteurs du Réveil que nul dans le milieu évangélique genevois ne soupçonnait de dérive". Au contraire, souligne-t-il, "il s’agissait d’acteurs bien intégrés dans les instances locales du Réseau évangélique." S’il comprend que ce mouvement puisse interpeler les plus défavorisés, il souligne que toutes les couches de la société sont concernées : "Dans les faits, je constate que des populations bourgeoises ou en ascension sociale y sont aussi sensibles, qu’elles soient issues de la migration ou autochtones."

 En France, le CNEF a dénoncé l’évangile de la prospérité

Face à la progression de ce mouvement en France, le CNEF (Conseil national des évangéliques de France) a choisi dès 2012 de poser des barrières. En dépit des divergences doctrinales entre les différentes dénominations au sein de l’organisation faîtière, le comité théologique de l’instance a rédigé une mise en garde adoptée à l’unanimité par les délégués des unions d’églises et des œuvres réunies en assemblée plénière.

Prenant la mesure du phénomène en considérant qu’il était mal identifié, le Conseil a tenu à le définir et donner les outils à ceux qui sont attirés ou rencontrent ce mouvement pour réaliser ses dangers, ses pratiques et principes éloignés des positions évangéliques. Ce texte vise également à permettre des discussions franches avec des églises proches de cette théologie qui souhaiteraient devenir membre du CNEF.

L’organisation précise d’emblée que "certains de ces enseignements ne sont pas présentés de manière systématisée, mais distillés par petites touches au milieu d’autres propos édifiants et bienfaisants", ce qui nécessite un travail de discernement. Le comité de théologiens relève que les promoteurs de l’évangile de la prospérité déforment, excluent, surinvestissent des versets de la Bible. Ainsi, alors que "L’Écriture intègre, en nous présentant la pédagogie de Dieu, des expériences comme la privation, l’épreuve, l’attente, la dépendance, l’espérance, la persévérance, la doctrine de la prospérité refuse à Dieu ces outils en vue de notre bien", dénonce le CNEF qui met en garde contre les implications théologiques d’une exigence de l’abondance :

"Quelle place pour l’attachement à Dieu malgré les limitations ou les manques, et pour l’amour gratuit et persévérant, si Dieu choisit de bénir autrement que par l’abondance, ou la facilité, ou le bien-être physique ? Il faut donc résister à la dictature du "tout, toute de suite" de la théologie de la prospérité : le bien immédiat n’est pas toujours le bien supérieur. Dieu reste le maître des temps, des étapes et des moyens qu’il emploie pour réaliser en nous le bien qu’il choisit et vise pour nous."

Cet anthropomorphisme, affirme le document, conduit à postuler que l’homme participe à la nature divine, comme s’il était une émanation de Dieu : "Dans le mouvement de la prospérité, l’homme est celui qui commande et Dieu celui qui sert." Les auteurs du texte soulignent que l’apôtre Paul n’établit pas "une équation mathématique de proportionnalité entre la semence et la récolte" lorsqu’il dit que "celui qui sème peu moissonnera peu, et [que] celui qui sème en abondance moissonnera en abondance ( 2 Corinthiens chapitre 9, verset 6), mais qu’il dénonce l’avarice frileuse ( "peu = chichement" ), et appelle à une libéralité désintéressée ( "en abondance = avec libéralité" ).

En juillet dernier, le télévangéliste américain Creflo Dollar, le bien nommé, a fait volte-face sur l’enseignement de la dîme. Le prédicateur qui possède 27 millions de dollars a dénoncé la dîme comme n’ayant aucun fondement chrétien. Le pasteur d’une église de 30 000 membres en Géorgie a encouragé à "jeter tous les livres, toutes les cassettes et toutes les vidéos" qu’il avait produits sur la dîme, tout en assurant qu’il ne s’excuserait d’avoir enseigné cette doctrine, car cela lui a permis d’en arriver à cette conclusion.

Il affirme avoir réalisé en lisant l’épître aux Romains (chapitre 6 verset 14) que les chrétiens n’étaient pas tenus par la loi de l’Ancien Testament. En 2018 et 2019, c’étaient Benny Hinn et Joyce Meyer qui avaient dit prendre une certaine distance avec leurs propres enseignements.

Jean Sarpédon

Crédit image : Shutterstock/ Neveshkin Nikolay

Dans la rubrique Spiritualité >



Les nouvelles récentes >