Expérience immersive : Quand l’avenir rend le passé présent [OPINION]

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Nos vieilles pierres coûtent cher mais se pourrait-il qu’elles rapportent ? Depuis l’incendie de Notre-Dame de Paris, deux expositions remarquables montrent que la manière de faire visiter un monument est en train de changer grâce aux technologies importées des jeux vidéos.

La première, à l’Espace Grande-Arche de La Défense, s’appelle Éternelle Notre-Dame et se définit comme « une expédition immersive en réalité virtuelle ». L’autre, abritée par le Collège des Bernardins (Paris Ve), s’intitule L’Exposition augmentée, Notre-Dame de Paris. Les deux méritent leur succès. Leur concept sont très différents, bien que l’une et l’autre se présentent comme « immersive ». Éternelle Notre-Dame est sensationnelle. L’Exposition augmentée est didactique.

Commençons par la première, financée par Orange : équipé d’un casque de réalité de virtuelle et d’un sac à dos, on entre dans un hall pour y déambuler. Le paysage 3D s’anime subitement. L’immersion est totale. L’effet garanti. Un avatar guide et parle au visiteur. On marche sur des cases à liseré bleu pour allumer les diverses étapes du parcours. Á trois reprises, un « ascenseur » vous « emporte » jusqu’au voûte et dans la charpente, en haut des tours et sous les cloches. En soi, le concept n’a rien d’original. C’est comme une visite guidée. La 3D fait juste découvrir en 45 minutes ce que l’on ne pourrait jamais voir, soit parce qu’on remonte le temps, soit parce que le visiteur n’y a pas accès.

Se déplacer a-t-il encore un sens ?  Qu’on soit à Shanghai ou à Houston, il suffira d’aller dans un hall pour avoir la sensation d’être sur l’île de la Cité. Sans impact carbone. Cette immersion à distance offre une réponse à la surfréquentation et au dérèglement climatique. Le tourisme de masse n’est plus sustainable. La foule n’est pas qu’une source d’inconforts ; elle dégrade les monuments et en dénature l’esprit, comme à Versailles. Elle saccage aussi des sites naturels comme la Pointe du Raz (sauvée du piétinement par le Conservatoire du littoral). Á terme, faudra-t-il brider la mobilité des moins riches au nom de la survie de la planète ?

Au-delà de la dimension écologique, il y a la puissance du virtuel, illimitée. La société Amaclio Productions souligne que son expérience pousse à visiter un lieu plutôt qu’elle ne dissuade de s’y rendre. Certes. Mais le tourisme en présentiel est bourré de contraintes. Nos descendants auront-ils encore l’idée et l’envie d’errer devant des pierres froides, quand un écran leur donne accès à tout sans bouger ?

Passons à l’autre exposition, celle des Bernardins. Financée par L’Oréal, L’Exposition augmentée, Notre-Dame de Paris vous munit de l’HistoPad, déjà utilisé dans des châteaux comme Falaise, Chambord ou Loches mais aussi au musée US de Sainte-Mère-Église. Cette tablette, grâce à ses fonctionnalités interactives, laisse la liberté au visiteur d’explorer ce qu’il veut. 22 panneaux 4×3, installés dans une moitié de la nef, jalonnent le parcours chronologique. Chaque fois, on scanne une « porte du temps » pour ouvrir le chapitre correspondant. Là non plus, le concept n’est pas original. C’est une déclinaison des audioguides. Mais l’effet est démultiplié par la masse d’informations prodiguée par les menus contextuels et l’infographie d’une incroyable finesse.

Le parcours commence par l’incendie d’avril 2019. On tourne autour de la cathédrale à n’importe quelle heure du drame et à 360 degrés. Qu’il s’agisse du sens de la fumée ou des manœuvres des pompiers, tout est fidèle. Et les autres panneaux sont à l’avenant : au XIIe siècle, on plonge dans les tranchées de 6 mètres creusées dans l’île de la Cité pour soutenir les piliers du futur édifice. Ce quartier se dévoile sous l’angle de perspectives absolument inédites, comme celle donnant sur la façade de l’ancienne église Saint-Étienne ou celle montrant l’étendue du chantier de soubassement.

L’HistoPad oblige les guides à se repenser. Après une fronde du personnel à Chambord, qui en retarda la mise en route, les guides globalement se l’approprient pour animer leur prestation.

Aux Bernardins, un panneau magnifie le Sacre de Napoléon par David en 1804. Saviez-vous que sa mère, Letizia Bonaparte, n’y était pas présente et que le personnage fictif à droite de l’empereur épouse les traits de Jules César, etc. ? Grâce à la start-up Histovery, la réalité augmentée redonne vie à des œuvres figées dans une splendeur hiératique. On entre dans le tableau pour voir aussi le paysage qu’il ne montre pas. 75% des 50000 visiteurs n’étaient jamais venus aux Bernardins. L’exposition familiale séduit jusqu’aux grands-parents.

Ces deux expériences immersives sont-elles concurrentes ? Celle de la Grande-Arche est époustouflante mais suppose de manipuler un équipement lourd et de disposer d’un espace dédié. Celle des Bernardins est à la fois plus riche et plus limitée, la tablette ne dépaysant pas autant que le casque virtuel. Les monuments ne choisiront qu’une seule expérience, pour que ne pas devoir gérer plusieurs flux au sein d’un public qui risquerait de ne pas s’y retrouver entre les deux offres.

Louis Daufresne

Source : Connaissance des Arts

Cet article est publié à partir de La Sélection du Jour.


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