Figure de la lutte contre les violences sexuelles dans l'Église, Véronique Margron terminera vendredi 21 novembre neuf ans de mandat à la tête de la Conférence des religieux et religieuses de France. Cette théologienne de 67 ans à la parole sans concession a co-initié l'enquête de la Ciase, qui en 2021 a créé une déflagration en évaluant à 330.000 le nombre de victimes de pédocriminalité dans l'Église depuis 1950.
AFP : Quel a été le moteur de votre engagement résolu pendant neuf ans ?
Véronique Margron : Être neutre face à la violence sexuelle, c'est faire le jeu de l'agresseur, donc vous ne pouvez être qu'engagé. Je ne sais pas si j'étais courageuse, mais c'était une sorte d'évidence. Ces visages, ces récits, m'ont affectée en profondeur, et totalement indignée, spécialement face à l'utilisation de la foi mise au service de la violence sexuelle.
AFP : Vous êtes vous heurtée à des résistances ?
Véronique Margron : Je n'ai pas eu de problème pour convaincre au sein de la Corref. Notre force est que nous sommes des femmes et des hommes, avec des sensibilités diverses. Beaucoup d'entre nous, lors des travaux de la Ciase, avons découvert des victimes parmi nos propres sœurs. Forcément, cela modifie la parole commune.
Les évêques sont objectivement dans une situation bien plus compliquée, parce qu'ils ont une responsabilité hiérarchique. Sans généraliser, il y a eu des réticences chez certains au début, mais ce qui compte est de s’embarquer.
AFP : Où en est l'Église aujourd'hui ?
Véronique Margron : Il serait injuste de nier les progrès. D'abord, les évêques ont reconnu une responsabilité institutionnelle en 2021. Toutes les mesures depuis constituent des cliquets : une fois prises, vous ne pouvez plus revenir dessus. Et je ne doute pas de l'engagement du nouveau président de l'épiscopat Jean-Marc Aveline.
La difficulté aujourd'hui, c'est la persévérance. Cela vaut pour la prise en charge des victimes majeures, l'avenir des commissions de réparation (CRR et Inirr).... Elles reçoivent 30 saisines par mois ! Cela dit combien il faut durer pour rendre possible la parole et sa prise en compte. Il faut trouver les formules pour les pérenniser.
AFP : Toutes les congrégations sont-elles sur cette ligne ?
Véronique Margron : Beaucoup ont fait un travail sur la gouvernance, la prévention, la formation... même s'il reste çà et là des résistances.
Les congrégations les plus concernées en sont à plusieurs millions d'euros de réparation financière. Il y a pour certaines des questions bien réelles de finances, qu'il faudra traiter à l'avenir.
AFP : Vous avez par le passé parlé de "climat d'omerta" dans l'Église. Est-ce toujours vrai ?
Véronique Margron : On entend moins le discours de la "brebis galeuse" qui nie le caractère systémique. Mais il n'est pas si loin. Certains supérieurs religieux parfois me disent "pour un tel, on n'a jamais su, donc on n'est pas responsables". Mais c'est peut-être aussi que rien n'a été fait pour voir et entendre.
Aujourd'hui, la grande majorité des évêques et des congrégations signalent systématiquement. Cela aussi représente un gros changement de culture; pour qu'il entre dans les mœurs, il faut tenir, ne rien laisser passer.
AFP : Le dispositif pour les victimes majeures des évêques est-il suffisant ?
Véronique Margron : Je ne sais pas s’il est abouti, mais on peut s'interroger sur le futur processus. Sera-t-il indépendant ? Quand on sait combien les victimes ont déjà du mal à s'adresser à nos commissions, par crainte qu’elles ne le soient pas...
AFP : Qu'en est-il de la prise en charge des victimes de l'abbé Pierre ?
Véronique Margron : Pour le moment, on n'a pas d'idée du nombre de victimes qui vont s'adresser à la CRR. Il faut attendre que la convention avec Emmaüs soit signée, ce qui ne saurait tarder.
AFP : L'Église fait-elle une juste place aux femmes ?
Véronique Margron : Il y a eu en France des progrès: plus de femmes enseignent dans les séminaires, certaines sont secrétaires générales de diocèse... Mais il y a encore une marge de progression.
La Rédaction (avec AFP)
Crédit image : Église catholique de France / Alain Elorza CIRIC