Le Canada a beaucoup changé sous le règne d’Elizabeth II : Moins anglo-saxon, plus diversifié

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Le décès de la reine Elizabeth, à l’âge de 96 ans, marque la fin d’une époque pour le Canada.

La monarque, qui a régné le plus longtemps dans l’histoire britannique, a été témoin de l’ouverture de la Voie maritime du Saint-Laurent en 1959, de l’expansion des programmes sociaux du Canada dans les années 1960, des référendums du Québec en 1980 et en 1995, des accords de libre-échange avec les États-Unis et de l’avènement au pouvoir, à quelques décennies de distance des Trudeau, père et fils.

En 1982, elle signe la proclamation qui rapatrie la Constitution, mettant fin au rôle du Parlement britannique dans les affaires du Canada.

La reine Elizabeth et le président américain Dwight D. Eisenhower lors de l’inauguration de la Voie maritime du Saint-Laurent en juin 1959.
(Archives nationales du Canada)

Pendant son long règne, le Canada est devenu nettement moins anglophone et anglophile. Près de la moitié des Canadiens étaient d’ascendance britannique lorsqu’elle a accédé au trône en 1952, mais ce nombre est tombé à un tiers en 2016 et continue de diminuer.

Dans les années 1950, les élèves du secondaire de tout le Canada anglais agitaient l’Union Jack, chantaient l’hymne royal (God Save the Queen), récitaient le Notre Père et acclamaient les corps de cadets habillés en kaki britannique. Elizabeth a vu le drapeau de l’Union être remplacé par la feuille d’érable en 1965, et l’hymne royal par O Canada en 1980.

En l’espace de sept décennies, Elizabeth a réussi à passer du statut d’incarnation des traditions à celui de figure chaleureusement appréciée, mais pas particulièrement importante, dans la vie des Canadiens. Elle est restée personnellement populaire au Canada, même si elle a passé relativement peu de temps (environ 200 jours) dans le pays au cours de visites qui ont eu lieu en moyenne tous les trois ans.

Son dévouement à sa tâche de monarque est perçu favorablement, tout comme l’absence de scandale dans sa vie personnelle. Elle s’est attiré la sympathie des Canadiens surtout en tant qu’individu, plutôt qu’en tant que chef héréditaire d’une institution, tout en agissant comme un lien vivant avec l’époque où le Canada était une colonie de l’Empire britannique.

La reine Elizabeth II sourit au maire de Montréal, Jean Drapeau, lors d’une réception à l’hôtel de ville de Montréal, le 17 juillet 1976. La reine ouvrira les Jeux olympiques plus tard dans l’après-midi.
La Presse Canadienne/Wally Hayes

Charles est moins populaire

Un sondage sur sa performance, réalisé en 2020, a révélé que huit Canadiens sur dix estimaient que la Reine avait fait du bon travail dans son rôle de monarque.

 

Le prince Charles et Camilla, la duchesse de Cornouailles, debout, à Londres en octobre 2015.
(Chris Jackson/Pool Photo via AP)

Mais le sondage a également révélé que la moitié des Canadiens sont d’accord pour que le pays mette fin aux liens officiels avec la monarchie après la fin du règne d’Elizabeth.

Et un sondage plus récent, réalisé en 2021, a révélé que seulement un Canadien sur cinq souhaite que le prince Charles devienne roi, tandis que seulement un sur trois souhaite que le prince William monte sur le trône.

Les successeurs d’Elizabeth — Charles, dont le temps en tant que roi compte tenu de son âge (73 ans) sera relativement court, et William, qui suivra — assument la fonction à un moment différent de l’histoire du Canada.

Le duc et la duchesse de Cambridge et leurs enfants, le prince George et la princesse Charlotte, montent dans un hydravion alors qu’ils se préparent à quitter Victoria, en Colombie-Britannique, lors d’une tournée royale en 2016.
La Presse Canadienne/Jonathan Hayward

Charles assume la fonction de chef d’État d’un Canada presque méconnaissable de ce qu’il était en 1952 en termes de rôle de la religion dans la vie de ses citoyens, de diversité de ses habitants et de ses relations géopolitiques.

Le premier ministre Justin Trudeau s’est montré prudemment peu loquace sur l’avenir de la monarchie. En mars 2021, il a déclaré :

Si les gens veulent parler plus tard de changement constitutionnel et de changement de notre système de gouvernement, c’est très bien. Ils peuvent avoir ces conversations.

Avec un gouvernement minoritaire, il pourrait hésiter à dépenser du capital politique pour une réforme constitutionnelle.

Mesurer l’humeur

D’autre part, les premiers ministres sont des opportunistes. La transition vers un nouveau monarque — un événement qui ne s’est pas produit du vivant de la grande majorité des Canadiens — est l’occasion de jauger l’humeur de la population et de revoir les arrangements existants.

Le dossier constitutionnel présente un attrait particulier pour les politiciens qui cherchent à créer ou à cimenter un héritage. Le triomphe décisif de Pierre Trudeau a été le rapatriement de la Constitution, quelques années après sa pirouette iconique dans le dos de la reine en 1977 lors d’un sommet du G7.

Pierre Trudeau pirouette derrière la reine Elizabeth II lors d’une séance de photos en mai 1977 au palais de Buckingham à Londres.
La Presse Canadienne/Doug Ball

La grande réussite d’Elizabeth, aidée par des gènes qui lui ont permis de vivre extraordinairement longtemps et en bonne santé, a été de tenir à distance les discussions sur l’avenir de la monarchie en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans les autres anciennes colonies britanniques dont elle était le chef d’État. Sa mort va permettre de lancer le débat et la délibération.

Alors que les Canadiens pleurent le décès de la reine, ils devraient également réfléchir à la pertinence et à la signification de la monarchie dans une nation qui se réconcilie avec son passé colonial et qui cherche sa place sur une scène mondiale complexe.

Thomas Klassen, Professor, School of Public Policy and Administration, York University, Canada

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

Crédit image : Shutterstock / Norma G. Chambers / La reine en visite au Canada en 2005.


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