Les attaques au Benue font craindre une crise alimentaire : "Ma sœur prie chaque jour pour la paix"

Les attaques au Benue font craindre une crise alimentaire "Ma sœur prie chaque jour pour la paix"

Les agriculteurs nigérians peinent aujourd’hui à nourrir leur famille et leur pays.

À cette période de l’année, Adakole Odaudu se trouve habituellement dans ses champs pour surveiller ses cultures. Pendant la saison des pluies, dans l’État de Benue au Nigeria, il se lève tôt pour aider ses ouvriers à repérer les zones à désherber. Il veille aussi à prévenir les attaques de ravageurs qui pourraient nuire à sa récolte de gombos.

Mais récemment, nous raconte-t-il, lorsqu’une nièce est venue d’Abuja — la capitale — pour assister à des funérailles, il n’a pu lui offrir qu’un peu de gombos. Autrefois, il l’aurait renvoyée chez elle avec un sac entier de gari, un aliment de base préparé à partir de manioc, de sorgho ou de riz. Cette fois, il n’en avait pas les moyens.

"J’en ai eu honte, c’était dérisoire", confie-t-il.

Depuis l’attaque du 14 juin contre le village de Yelwata, menée par des éleveurs peuls majoritairement musulmans, Odaudu n’ose plus se rendre sur la plupart de ses terres. Sur les 14 hectares qu’il possède, il ne cultive plus que trois hectares proches de son village, Otukpo Nobi. Il y fait pousser du gombo et du manioc, mais plus de riz ni d’ignames.

Cette attaque a mis à mal la légendaire hospitalité du Benue. Jadis, les agriculteurs s’empressaient de récolter des produits frais pour accueillir dignement leurs invités. Aujourd’hui, les habitants ont peur de s’aventurer dehors.

Cette peur freine l’économie agricole de la région. Les Peuls, un peuple de plus de 40 millions de membres, ont jadis mené dans le nord du Nigeria une série de guerres saintes censées "purifier l’islam", établissant une aristocratie islamique. Aujourd’hui, les violences perpétrées par des éleveurs peuls ont provoqué des centaines de morts et déplacés, détruit des exploitations agricoles, et empêché ceux qui restent de produire des denrées de base essentielles pour tout le pays.

Ces attaques menacent sérieusement l’économie agricole nigériane. Plus des deux tiers des habitants du Benue — surnommé le "grenier du Nigeria" — vivent de l’agriculture. Des pertes de récolte ou l’incapacité à moissonner entraîneront une hausse généralisée des prix, notamment pour les ignames, le maïs et le soja.

Selon le Nigeria Economic Summit Group (NESG), la flambée des prix place le Nigeria au deuxième rang des pays africains ayant le plus fort taux d’inflation alimentaire, et au cinquième au niveau mondial.

Parmi les causes principales de cette inflation, le NESG pointe "l’insécurité persistante dans les principales zones de production agricole du pays, qui continue de perturber les chaînes d’approvisionnement et de faire grimper les prix".

Aujourd’hui, Odaudu n’emploie plus que deux ou trois ouvriers, contre une dizaine auparavant. Sa situation était considérée comme confortable. Sa production suffisait à nourrir sa famille toute l’année, avec un excédent à vendre. Désormais, il se bat pour pouvoir simplement nourrir les siens.

Il n’a pas quitté Otukpo Nobi, mais il ne dort plus en paix. Les coups de feu retentissent souvent la nuit, empêchant les villageois de fermer l’œil.

"Nous avons du mal à nous nourrir", dit-il. Une fois vendue, sa récolte suffira à peine à faire vivre sa famille pendant un an.

De nombreux habitants du Benue perdent espoir.

"Tout ce qu’il nous reste, c’est prier", soupire Odaudu, "mais nous ne savons même pas si Dieu nous entend".

Odaudu n’est pas chrétien : il croit aux esprits ancestraux de la terre. Mais il dit que sa sœur, chrétienne, prie quotidiennement, et qu’il accueille aujourd’hui toutes les prières.

"Ma sœur prie chaque jour pour la paix", dit-il.

Pour Titus Tsendiir, enseignant à Makurdi, la capitale de l’État, la dernière attaque n’a fait qu’aggraver une situation déjà critique. Il estime que, sans intervention rapide pour mettre fin aux violences et rétablir la paix, l’agriculture cessera et les prix grimperont.

Tsendiir avait investi plus de 400 000 nairas (environ 260 dollars) de ses revenus d’enseignant dans une rizière en 2023. Mais en raison des violences, il n’a rien pu récolter.

"Je n’irai plus cultiver quoi que ce soit au village", dit-il.

Il raconte qu’après la visite du président Bola Tinubu dans l’État, le 18 juin, à la suite des attaques de Yelwata, certains villageois ont tenté de retourner à leurs champs. Mais à peine avaient-ils commencé les préparatifs et les pulvérisations de produits chimiques qu’ils ont fui, apeurés par des coups de feu.

"Avant qu’on comprenne ce qui se passait, le frère cadet de notre chef a été tué par une balle", rapporte-t-il. "Et à l’heure qu’il est, il n’a toujours pas été enterré."

Le conflit repose autant sur des différences religieuses que sur des rivalités professionnelles. La plupart des attaques des éleveurs peuls musulmans visent des villages agricoles chrétiens, en majorité peuplés par le peuple Tiv. Si certains expliquent les violences par les tensions entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires, le chef suprême Tiv, James Ayatse, Tor Tiv V, évoque une réalité bien plus sombre.

"Votre Excellence, ce ne sont pas des affrontements entre éleveurs et agriculteurs, ni des conflits communautaires, ni des représailles ou des escarmouches", a-t-il déclaré lors d’une réunion avec le président Tinubu. "Ce à quoi nous sommes confrontés, c’est une invasion génocidaire planifiée, une campagne méthodique d’accaparement des terres menée par des terroristes éleveurs et des bandits. Et cela dure depuis des décennies."

Tsendiir rapporte que la Pentecostal Fellowship of Nigeria organise une marche de protestation, mais que "les attaques ont continué".

Selon lui, c’est au gouvernement d’agir rapidement pour rétablir la paix.

"Si les gens peuvent revenir maintenant et cultiver, alors ils pourront au moins sauver une partie de leur année."

Emiene Erameh

Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.

Crédit image : Shutterstock / Tayvay / l'Etat de Benue au Nigeria

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