Les attaques israéliennes entremêlent crainte et espoir pour les chrétiens iraniens

Les attaques israéliennes entremêlent crainte et espoir pour les chrétiens iraniens

Beaucoup d’Iraniens de la diaspora souhaitent un changement de régime, tout en redoutant le prix à payer pour leur pays et pour l’Église souterraine.

Depuis le début de l’attaque d’Israël contre l’Iran le 13 juin, Shahrokh Afshar s’inquiète pour les membres de son église restés en Iran. Ancien musulman et fondateur de Fellowship of Iranian Christians, la première organisation chrétienne iranienne aux États-Unis, il est aujourd’hui pasteur d’une communauté en ligne composée de fidèles persanophones répartis dans six pays.

Des centaines de civils ont péri sous les frappes israéliennes. L’une des membres de son église a choisi de rester à Téhéran, alors que des milliers de personnes fuyaient la capitale. Alors qu’elle se retrouvait seule habitante de son immeuble, elle lui a décrit une atmosphère faite de peur et de souffrance.

Selon elle, le gouvernement espionne les appels téléphoniques et arrête des gens dans la rue. Dimanche 22 juin, les autorités iraniennes ont exécuté un homme accusé d’espionnage. Une amie de sa fille a perdu toute sa famille dans un bombardement israélien. Les cimetières sont remplis de personnes enterrant leurs proches.

"Elle a demandé à l’église de prier pour qu’il n’y ait pas de représailles contre les États-Unis, car la guerre pourrait devenir bien pire que ce qu’elle est déjà", rapporte Afshar. Il ajoute que l’Église souterraine iranienne est "terrifiée". Durant plusieurs jours, de nombreux Iraniens se sont retrouvés sans électricité, sans eau, ni accès à internet.

Cela fait 30 ans qu’Afshar prie en posant ses mains sur la carte de l’Iran. Il reconnaît la complexité des émotions ressenties par les Iraniens : "D’un côté, tu es heureux que quelqu’un vienne te délivrer des mains de ce dictateur", dit-il, en parlant du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. "Mais d’un autre côté, c’est ton pays, ton quartier, tes voisins, tes proches qui sont bombardés. Comment es-tu censé te sentir ?"

Depuis des décennies, Israël observe avec inquiétude un régime iranien animé d’une haine profonde envers la nation juive. Les avancées nucléaires récentes de l’Iran l’auraient amené "au seuil d’une capacité nucléaire réelle", écrivaitl’expert en politique étrangère Walter Russell Mead dans une tribune publiée en octobre dernier dans le Wall Street Journal, prédisant que 2025 serait une "année intéressante".

Huit mois plus tard, Israël a lancé une opération visant à empêcher l’Iran de réaliser son objectif déclaré de détruire Israël. De hauts commandants des Gardiens de la révolution et des scientifiques nucléaires ont été éliminés, et des infrastructures nucléaires essentielles ont été détruites.

Avec le début des frappes israéliennes sur Téhéran, la panique s’est emparée des habitants, et les autoroutes ont été encombrées par des embouteillages massifs. La capitale iranienne, très densément peuplée, abrite plus de 10 millions d’habitants — soit environ 10 % de la population du pays.

Samedi dernier, les États-Unis ont déployé des bombardiers furtifs équipés de bombes anti-bunker pour viser trois sites nucléaires, dont celui de Fordow, dissimulé sous une montagne et hors de portée des seules capacités israéliennes.

La guerre a également touché tous les habitants d’Israël, souligne Meno Kalisher, pasteur de l’église Jerusalem Assembly House of Redemption. Les pertes auraient été bien plus lourdes sans les investissements massifs d’Israël dans des abris et des systèmes de défense antimissile. Malgré tout, des dizaines d’Israéliens ont péri dans des tirs de missiles visant les civils et dépassant parfois les capacités de défense du pays.

"Nous avons vraiment confiance dans le Seigneur et nous prions", affirme Kalisher. "Nous prions pour l’Église iranienne."

La plupart des membres de sa communauté ont accès à des abris. En Iran, ceux-ci sont quasi inexistants. Le régime islamique dépense par contre plus de 700 millions de dollars par an pour soutenir des groupes comme le Hamas et le Hezbollah.

Les cinq croyants iraniens de la diaspora que nous avons interrogés estiment qu’en dépit de la peur des bombardements, la plupart des Iraniens accueillent favorablement des frappes qui pourraient déstabiliser le régime. Ils se basent pour cela sur des conversations avec leurs proches et des informations glanées en ligne.

"Le peuple iranien souffre, mais il sait qu’il doit payer le prix de sa liberté", explique Hormoz Shariat, fondateur de Iran Alive Ministries, une plateforme chrétienne de diffusion. "Ils n’en veulent pas à Israël ni aux États-Unis. En réalité, ils gardent espoir."

Shariat affirme que de nombreux Iraniens "supplient" Israël de mener en Iran une opération similaire à celle menée au Liban l’an dernier, où plusieurs dizaines de membres du Hezbollah ont été tués et des centaines blessés.

Les Iraniens ne veulent pas d’une guerre interminable avec des pertes massives, souligne-t-il, mais ils soutiennent les frappes israéliennes ciblées qui éliminent les dirigeants "avec une précision chirurgicale". Selon lui, beaucoup espèrent que le changement de régime est à portée de main.

Alors que le nombre de morts augmentait, Afshar constatait que "certains en Iran commencent à avoir des doutes, car leurs proches sont tués. Téhéran est devenue une ville fantôme."

Après la création de l’État d’Israël en 1948, les relations économiques et militaires entre Israël et l’Iran ont prospéré pendant plusieurs décennies. Mais tout a basculé en 1979, lorsque les révolutionnaires ont renversé la monarchie laïque pour établir une république islamique.

L’ayatollah Ruhollah Khomeini a remplacé le shah, rompu les liens avec Israël et l’Occident, imposé des codes vestimentaires stricts et réprimé les droits humains. Les musulmans comme les chrétiens (moins de 1 % de la population) ont souffert sous Khomeini et son successeur, Khamenei.

Selon l’Index mondial de persécution de Portes Ouvertes, l’Iran est le 9e pays au monde où il est le plus dangereux d’être chrétien. Les croyants issus de l’islam risquent fréquemment des arrestations et de longues peines de prison pour "influence occidentale".

Le régime autoritaire iranien a plongé le pays dans une période sombre, provoquant plusieurs vagues de contestation. Le Mouvement vert de 2009 a débuté par des accusations de fraude électorale, avant de se transformer en une opposition plus large au régime islamique. Plus de 30 personnes y ont perdu la vie.

Une enquête de la BBC révèle que les autorités iraniennes ont tué plus de 75 personnes après les manifestations liées à la mort de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans décédée en détention après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour port incorrect du voile.

Un Juif iranien converti au christianisme après avoir immigré aux États-Unis en 1975 explique que certains Iraniens de la diaspora critiquent moins Téhéran, car ils sont partis avant la répression. Ceux qui ont vécu les heures sombres du régime, en revanche, sont désabusés. Nous lui avons accordé l’anonymat pour protéger sa famille restée en Iran.

Un de ses amis musulmans pratiquants a cessé de fréquenter la mosquée après la mort d’Amini et la répression brutale des manifestations.

"Des milliers de mosquées ont été fermées en Iran, d’après ce qu’on me dit", confie-t-il. Certains religieux pointent un manque de financement, mais d’autres estiment que la cause principale est la faible fréquentation de ces lieux de culte.

Said Najafy, chrétien iranien et responsable de ministère en Belgique, rappelle que le régime veut détruire Israël depuis 1979 et que les Iraniens en paient le prix. Issu d’une famille musulmane pratiquante, il a vécu en Iran jusqu’en 2000. Certains de ses proches ont fui Téhéran après les bombardements.

"Nous voulons retrouver l’époque où nous étions amis", dit-il. "Nous prions et espérons que le régime tombera au plus vite."

Najafy a participé à des réunions de prière virtuelles cette semaine avec des chrétiens en Iran et les quatre églises persanophones de Belgique. Il affirme que les chrétiens iraniens prient à la fois pour la protection des civils et se réjouissent qu’"Israël soit l’instrument qui vient éliminer ce régime diabolique au pouvoir depuis près de 50 ans."

Jeudi dernier, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a répondu à la question d’un éventuel changement de régime à Téhéran : "Cela peut en être la conséquence, mais c’est au peuple iranien de se lever pour sa liberté", a-t-il déclaré, ajoutant qu’Israël "pourrait créer les conditions favorables pour que cela se produise".

Shirin Taber, chrétienne irano-américaine et autrice de Muslims Next Door, suit de près le mouvement de résistance iranien. Son organisation, Empower Women Media, milite pour l’égalité des sexes et la liberté religieuse — des droits qu’elle espère voir inclus dans une transformation systémique du pays.

Selon elle, la résistance iranienne est structurée en plusieurs niveaux. La Génération Z est audacieuse, à l’aise avec la technologie, et prête à manifester, mais cela ne suffit pas. "En réalité, cela met les gens en danger, et certains en sont morts", souligne-t-elle.

Un autre niveau du mouvement d’opposition agit en coulisses, et regroupe des acteurs du monde des affaires, de la technologie, de l’art et du journalisme. Elle croit possible un effondrement du régime dans les prochaines semaines, ouvrant la voie à cette opposition.

Shariat, fondateur de Iran Alive Ministries, est plus réservé. Il observe des luttes internes entre factions iraniennes.

Il continue de se consacrer à ses diffusions quotidiennes en Iran, qui se poursuivent depuis le début des attaques israéliennes. L’Église iranienne est remplie de "jeunes convertis" effrayés par l’avenir, dit-il.

"Notre message aux croyants, c’est : vous êtes différents. N’ayez pas peur", déclare Shariat. "C’est le moment de briller pour Jésus. Allez consoler les autres." Il raconte que des chrétiens vivant hors de la capitale ouvrent leur maison à ceux qui fuient Téhéran.

De son côté, Afshar encourage sa communauté en ligne à pratiquer la lectio divina, cette ancienne tradition chrétienne consistant, selon ses mots, à "contempler Dieu et s’asseoir aux pieds de Jésus". Cette pratique a aidé la chrétienne restée à Téhéran à surmonter sa peur. Elle lui a confié : "Je n’ai pas peur parce que je pratique la présence de Dieu dans ma marche quotidienne avec lui."

Jill Nelson

Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.


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