L’échange téléphonique entre Trump et Tsai qui irrite Pékin

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Les États-Unis seront-ils le vingt-troisième pays membre de l’ONU à entretenir des relations diplomatiques formelles avec la République de Chine située à Taïwan ? Ils n’en sont pas encore là, mais l’échange téléphonique entre le Président élu, Donald Trump, et le chef de l’État taïwanais, Tsai Ing-wen, fait déjà grincer des dents. Pékin ne reconnaît pas la République de Chine, située sur l’île de Formose, et ses partenaires économiques font de même, qui ont rapatrié leurs délégations et ne parlent que de Chine unique pour désigner la République populaire. Depuis 1979, l’Amérique ne reconnaît officiellement plus la Chine de Taïwan, et il est encore trop tôt pour savoir si Trump a parlé à Tsaï par manque d’expérience politique ou par volonté de modifier plus ou moins légèrement la politique de reconnaissance de la « Chine unique », alors qu’il ne cesse de montrer des signes d’agacement quant à la politique économique de Pékin.

La discussion de vendredi dernier a eu lieu à la suite de l’appel de la Présidente taïwanaise, selon Donald Trump qui a justifié cet échange sur Twitter. Tsai Ing-wen a contacté le Président élu pour le féliciter suite à sa victoire, lequel a salué celle de son interlocutrice en mai de cette année. L’annonce de l’entretien a provoqué des remous aux États-Unis et dans les relations entre Washington et Pékin. Le Président élu y a répondu en deux temps, d’abord pour dire que l’appel provenait de la dirigeante de la République de Chine : « La présidente de Taïwan M’A TELEPHONÉ aujourd’hui pour me féliciter de ma victoire à la présidence. Merci ! »; ensuite pour critiquer ceux qui lui reprochent d’avoir accepté l’appel : « Intéressant le fait que les USA vendent des milliards de dollars d’équipement militaire à Taïwan mais (que) je ne devrais pas accepter un appel de félicitations. »

La République populaire de Chine qui se considère comme le seul État chinois a protesté suite à cette communication

La République populaire de Chine qui se considère comme le seul État chinois a protesté suite à cette communication, mais a choisi de ne pas risquer d’envenimer la situation et préféré accuser Tsai Ing-wen d’avoir instrumentalisé celui qui devrait bientôt occuper le Bureau ovale. Les deux Chine revendiquent chacune la souveraineté sur un pays unique : le Gouvernement taïwanais sur l’île de Formose qu’il contrôle ainsi que sur la Chine continentale, Pékin sur le territoire de cette dernière et sur l’île. Taïwan, la République de Chine, est dans une situation internationale particulière, teintée d’hypocrisie, car de nombreux États ont des échanges officieux avec son Gouvernement, notamment sur le plan commercial, et lui vendent même du matériel militaire, tout en s’abstenant de le reconnaître sur le plan diplomatique pour ne pas froisser la République populaire de Chine. La Présidente Tsaï a pour programme de ne plus chercher l’unicité de la Chine, mais l’indépendance sans la nommer, et ne se réfère pas au Consensus de 1992, accord par lequel Taipei et Pékin affirment ensemble qu’il n’y a a qu’une seule Chine, chacun se considérant en réalité comme l’autorité légitime sur elle. Son coup de fil ressemble à la recherche d’un appui américain alors que le futur POTUS ne mâche pas ses mots quant à la Chine officielle.

Des relations ambivalentes entre Washington et Taipei

Taipei se présente comme capitale de la Chine depuis 1949, après que les nationalistes chinois qui avaient perdu face aux communistes dans la foulée de la défaite du Japon contre lequel ils s’étaient battus, s’y sont réfugiés. L’île a été sous contrôle du Japon de 1895 à 1945, et est conquise par les nationalistes du Kuomintang, le parti de Tchang Kaï-chek, lequel fait de Taipei la capitale de l’île, après avoir évacué Nankin, en Chine continentale où il gouvernait ce qu’il tenait encore jusqu’à sa défaite. La proclamation de la République de Chine en 1949 est une réponse à celle de la République populaire de Chine la même année.

Jusque là, le Kuomintang avait officiellement gouverné le pays, et c’était cette Chine qui était au rang des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Mais les troupes du Gouvernement nationaliste, soutenues par Washington contre le Japon, étaient épuisées par l’effort de guerre, et la corruption du Kuomintag achevait de fatiguer la population ; et elles furent rapidement vaincues dans la guerre civile initiée par les communistes qui prirent le contrôle du pays quatre ans après la victoire des nationalistes sur le Japon.

De 1949 à 1971, Taïwan est la seule Chine admise aux Nations unies, elle occupe donc le siège de membre permanent du Conseil de sécurité, au titre de vainqueur du Japon. La situation est même particulière puisque tous les membres permanents sont alors détenteurs de l’arme nucléaire, sauf Taïwan, et que le seul autre pays dans le monde à la posséder est la République populaire de Chine depuis 1964, une situation qui ne plaide pas en faveur de l’île dans les rapports de force internationaux. Mais en 1971, l’Assemblée générale de l’ONU vote l’exclusion de la petite République de Chine qui a refusé que soit accueillie une deuxième Chine en son sein. Les pays non alignés, refusant de choisir entre les États-Unis et l’Union soviétique préfèrent accueillir Pékin au sein de l’organisation mondiale ; depuis que la République populaire avait rompu avec l’URSS, elle disposait d’un statut d’observateur auprès du Mouvement des non alignés.

A partir de ce moment, Taïpei perd progressivement ses relations diplomatiques, la Chine continentale exigeant de ses partenaires qu’il ne reconnaissent qu’elle. En 1979, le Président américain Jimmy Carter reconnaît la République populaire, et le traité de soutien militaire conclu en 1954 entre Washington et Taipei est dénoncé. Toutefois, Carter décide de conserver des relations avec Formose, mais officieusement. Alors qu’ils ne reconnaissent plus la République de Chine, les États-Unis maintiennent leurs échanges commerciaux avec elle, sont même le deuxième client de l’île, et ils lui vendent même des équipements militaires pour se protéger de Pékin. C’est ce point que désigne le Président élu Trump dans son second message sur Twitter pour légitimer sa discussion avec la Présidente de Taïwan.

La révélation de l’échange entre Donald Trump et l’indépendantiste Tsai Ing-wen n’est pas du goût de tout le monde

La révélation de l’échange entre Donald Trump et l’indépendantiste Tsai Ing-wen n’est pas du goût de tout le monde, les réactions sont contrastées aux États-Unis. Christopher Hill, secrétaire d’État adjoint pour l’Asie orientale et le Pacifique sous George W. Bush, a parlé d’une « énorme erreur » et d’une « tendance à l’improvisation » de l’équipe Trump. Le sénateur démocrate Chris Murphy a mis en garde sur Twitter contre le risque de conflit : « Ce qui s’est passé ces 48 dernières heures n’est pas simplement une évolution. Ce sont des pivots majeurs en politique étrangère, sans aucune prévision. C’est ainsi que débutent des guerres », et la Maison-Blanche a tenu à rassurer Pékin. Une façon de jeter une pierre dans le jardin de Trump sur la scène politique intérieure plus qu’un vrai message à la Chine, puisque les promesses diplomatiques sur le futur d’une Administration Obama sur le départ ne comptent plus vraiment.

Côté soutiens, son ancien grand rival pour l’investiture républicaine, le sénateur Ted Cruz, qui avait même dans un premier temps fait comprendre qu’il ne voterait pas pour lui avant de le soutenir, a implicitement comparé Trump et Obama en déclarant : « Je préfère de très loin voir Donald Trump parler à la présidente Tsai qu’à Raul Castro à Cuba ou à l’Iranien Hassan Rohani. » Pour sa part, l’ancien porte-parole du président George W. Bush, Ari Fleischer, qui dénonce l’agressivité croissante de Pékin sur la scène internationale a exprimé sur Twitter un prudent soutien : « Cela ne me dérange pas que Trump ne se laisse pas faire », mais espère que cela était sciemment préparé. Autre soutien de poids, l’ancien ambassadeur américain en Chine, nommé par le Président Barack Obama, d’août 2009 à avril 2011, John Huntsman a estimé que Trump avait eu raison de prendre l’appel : « Nous devrions accorder plus d’espace [à Taïwan] », a-t-il déclaré sur Fox News, mettant notamment en avant la question des droits de l’homme.

La question des droits de l’homme est justement un sujet mis en avant par Donald Trump

La question des droits de l’homme est justement un sujet mis en avant par Donald Trump dont l’équipe accuse Pékin de ne pas respecter la santé des travailleurs dans sa course à la performance commerciale et qui menace d’agir en conséquence. L’échange téléphonique a eu lieu dans ce contexte de risque de tension commerciale entre les deux géants. Les relations économiques entre la République populaire de Chine et les États-Unis sont trop proches pour que celle-ci puisse se permettre de bloquer efficacement un éventuel développement des contacts entre Washington et Taipei, si c’est bien cela que souhaite le Président élu. Pékin tendait d’ailleurs à dialoguer avec Taipei, depuis début 2014, le ministre de la Chine communiste en charge de Taïwan avait rencontré à deux reprises le ministre taïwanais en charge de la Chine continentale. Mais c’était avant l’élection de l’indépendantiste Tsai Ing-wen, au pouvoir depuis le 20 mai dernier. Une proche conseillère de Donald Trump, Kellyanne Conway, a déclaré qu’en acceptant cet appel, le Président savait à quoi il s’engageait, sans pour autant vouloir initier un changement diplomatique majeur.

Les critiques aux États-Unis relèvent pour partie au moins du calcul politicien, la Chine n’ayant pas intérêt à défier Washington qui n’est pas n’importe quel partenaire. De plus, l’Administration Obama oublie fort opportunément que, en dépit de l’absence de relations diplomatiques officielles, elle avait félicité Taïwan suite à l’élection de Tsaï pour le déroulement démocratique de la transition au pouvoir. Certes, sans appeler l’élue, mais en saluant tout de même un « peuple de Taïwan ».

Hans-Søren Dag

Crédit photo : Flickr CC-DavidReid


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