
La crise politique a conduit de nombreux Hongkongais à s’exiler. Les pasteurs sur place adoptent diverses stratégies pour continuer à accompagner les croyants.
En mars dernier, dans l’auditorium d’une école primaire en périphérie de Hong Kong, le pasteur Samuel Leung conduit le dernier chant d’un culte dominical devant les 200 membres de son église. Près de la moitié d’entre eux ayant plus de 60 ans, l’église leur fournit des bulletins imprimés en gros caractères afin de faciliter la lecture.
Leung, qui est pasteur de l’église Ma On Shan Ling Liang depuis plus de vingt ans, explique qu’il y a quelques années encore, son assemblée comptait deux fois plus de fidèles, et la majorité était bien plus jeune. Mais au cours des cinq dernières années, des centaines de milliers de Hongkongais ont quitté la ville, à la suite de l’instauration par Pékin d’une loi sur la sécurité nationale destinée à réprimer le mouvement pro-démocratie de l’ancienne colonie britannique.
Cette vague de départs a durement frappé les églises comme celle de Leung. Il estime qu’environ 80 membres de sa communauté ont émigré, notamment vers le Royaume-Uni ou les États-Unis. En cohérence avec le profil type des Hongkongais ayant émigré, ces départs concernent notamment des pasteurs, des enseignants, des avocats, des professionnels de santé ainsi que des familles de la classe moyenne avec enfants. Selon une enquête récente du Hong Kong Church Renewal Movement (HKCRM), en 2024 au moins 46 000 fidèles avaient quitté la ville au cours des cinq années précédentes, et plus de 6 000 envisageaient encore de partir.
D’autres raisons expliquent aussi la baisse de fréquentation des églises : certains fidèles n’y sont jamais retournés depuis le début de la pandémie de COVID-19 et continuent de suivre les cultes en ligne. À l’église de Leung, une vingtaine de personnes participent régulièrement à distance. Il ajoute que d’autres encore ont rejoint d’autres assemblées, ou ont totalement cessé de fréquenter une église.
En plus des bancs vides et de la baisse des dons, plusieurs églises peinent à trouver du personnel et des bénévoles. Les responsables encore présents à Hong Kong éprouvent un certain découragement, tout en étant conscients de l’importance de leur présence pour accompagner les fidèles restants. Parallèlement, certaines églises cherchent aussi à soutenir ceux qui ont émigré, en développant des implantations à l’étranger et en proposant des cultes en ligne.
Lors de ce culte de mars à Ma On Shan Lin Liang, deux membres de l’équipe de louange, seuls sur une grande scène vide, ont conduit les chants en cantonais, dont un intitulé "Ne crains pas”. En 2019, l’équipe comptait 20 membres, mais la majorité a quitté la ville, confie Leung. En 2020, l’église avait tenté d’agrandir le groupe, mais le diacre chargé de la mission a soudainement annoncé son départ, laissant le projet inachevé. Leung se rappelle le profond découragement que cela a suscité au sein de l’équipe.
Selon l’étude du HKCRM, réalisée auprès de 778 des 1 300 églises locales de langue chinoise, la fréquentation physique des cultes est tombée à 198 000 personnes en 2024, ce qui représente une baisse de 26 % par rapport à 2019. Par ailleurs, environ 26 000 fidèles suivaient les cultes en ligne.
Face à ces bouleversements, certaines implantations ont réintégré leur église d’origine, au moins deux petites communautés ont entamé un processus de fusion, et d’autres poursuivent leurs activités avec des équipes restreintes, indique Nelson Leung, secrétaire général du HKCRM (sans lien de parenté avec Samuel Leung).
Même si le pic des départs a été atteint aux alentours de 2022, un sentiment d’abandon persiste chez ceux qui sont restés à Hong Kong. Ce dimanche-là, l’oratrice invitée à l’église de Leung — une éditrice du Christian Times — a confié qu’elle se sentait délaissée : nombre de ses amis avaient quitté la ville et son groupe de maison s’était dissous. Pourtant, a-t-elle rappelé, tout comme Dieu s’est adressé à Élie dans un souffle doux et léger, il n’a pas abandonné les chrétiens hongkongais au cœur de l’épreuve.
À Ma On Shan Ling Liang, le manque de bénévoles reste un défi majeur, selon Leung. L’église a dû adapter son fonctionnement : l’école du dimanche, auparavant organisée par niveau scolaire, a été réduite à deux groupes seulement pour les enfants du primaire. Une quarantaine d’enfants y participent désormais régulièrement, contre plus d’une centaine auparavant. L’écart d’âge complique la tâche des enseignants pour proposer un enseignement adapté.
Malgré cette réduction drastique, "nous n’avons jamais été obsédés par les chiffres", affirme Leung. "Mais l’ambiance a changé, que ce soit dans les salles d’école du dimanche ou pendant les cultes." Plus de 20 membres de l’église ont plus de 90 ans, et l’âge moyen des fidèles tourne désormais autour de 45 ans. L’absence des jeunes rend les cultes moins dynamiques, explique-t-il.
Pourtant, Leung reste optimiste quant à l’avenir de son église : "Le Seigneur nous a permis de bâtir une assemblée assez unie." De nouveaux fidèles, attirés par les cultes diffusés en ligne, ont rejoint la communauté. Certains donnent même des offrandes généreuses, ce qui a aidé à compenser la baisse des revenus.
Cette réduction d’effectifs a aussi permis à l’église d’être plus flexible dans ses initiatives, comme la réorganisation des groupes de maison. Désormais, ils ne dépassent pas quatre personnes, ce qui facilite la planification des rencontres. Parfois, plusieurs groupes se rassemblent pour des études bibliques ou des célébrations. L’église, stabilisée après l’exode, peut désormais avoir une vision long terme, estime Leung.
La vague d’émigration a provoqué des défis similaires dans d’autres églises. Selon un reportage du Christian Times de 2022, une assemblée connaissait un déficit financier après le départ de 40 % de ses 125 membres. Son pasteur, en poste depuis plus de vingt ans, envisageait une baisse de salaire et a dû surmonter un profond découragement face au départ de nombreux fidèles qu’il connaissait depuis longtemps. Malgré tout, l’église poursuit fidèlement sa mission locale de visites auprès de personnes défavorisées vivant dans des appartements subdivisés. "Le Seigneur ne se soucie pas tant de savoir si cette église survivra que de savoir si elle aura accompli sa mission avant de disparaître", témoignait le pasteur.
Toujours selon ce reportage, une autre église baptiste multisite a dû fermer au moins un site après avoir perdu plus de 1 000 membres, soit près d’un quart de sa communauté. Une communauté de l’Église évangélique libre de Chine n’a pas pu trouver suffisamment de bénévoles et d’enseignants pour l’école du dimanche après le départ de 30 % de ses fidèles. Le personnel et les bénévoles restants ont dû fusionner des classes et des groupes, tout en assumant une charge de travail accrue.
Alors que de nombreuses églises ont réduit la voilure, une autre prend le chemin inverse et s’étend à l’international.
Au deuxième étage d’un immeuble commercial du quartier de Jordan, le pasteur Poon Chi Kong assiste, depuis le fond du sanctuaire plongé dans la pénombre, à un culte du soir en février. Sur scène, des projecteurs illuminent un groupe de louange composé de neuf musiciens. Plus de 300 fidèles, majoritairement âgés de vingt à trente ans, chantent avec ferveur. L’église est située à seulement quinze minutes de métro du centre financier de la ville.
La taille de la Flow Church est restée stable depuis 2019. Bien qu’environ 120 membres aient émigré, ils ont été remplacés par de nouveaux venus, affirme Poon. Certains ont été attirés par le contenu en ligne de l’église, qui va des cours de théologie aux parodies de culture populaire.
"Nous avons perdu une partie de ceux qui ont construit cette église avec nous depuis ses débuts", confie Poon, pasteur de Flow Church depuis sa création en 2018. Il reconnaît qu’il faut désormais davantage d’efforts pour accompagner les nouveaux fidèles.
Mais l’église n’a pas totalement perdu le lien avec les membres partis. Poon supervise le projet satellite de l’église, intitulé "Outflow Mission", qui permet aux membres expatriés de se réunir dans des villes d’Angleterre et du Canada pour des cultes en commun.
Les groupes Outflow louent ou se font prêter des locaux dans des églises ou organisations chrétiennes locales, où ils suivent les cultes de Flow Church diffusés en direct depuis Hong Kong, ou écoutent des prédications des responsables restés sur place. Des dizaines de personnes se rassemblent à chaque endroit, et leur nombre se voit renforcé par la diaspora hongkongaise.
L’initiative, lancée en 2021, est née du constat que de nombreux expatriés peinaient à s’intégrer dans les églises locales. Flow Church voulait les aider à bâtir leur propre église, explique Poon. Il planifie l’année pour les groupes Outflow et soutient leurs responsables. Et si un groupe souhaite devenir indépendant, Flow Church n’a pas de problème à le voir adopter une autre dénomination.
Serene Chan fait partie de ceux qui ont quitté Flow Church à Hong Kong et ont rejoint Outflow à Manchester. Chaque samedi après-midi, elle se retrouve avec une quarantaine d’autres Hongkongais à l’église St Luke’s. Après le culte, ils partagent une collation et des discussions en petits groupes.
Avant de rejoindre Outflow, Chan, ancienne enseignante dans une école spécialisée à Hong Kong, avait fréquenté quelques églises locales. Mais elle passait plus de temps à essayer de comprendre les termes bibliques en anglais qu’à participer au culte. Pour elle, qui travaillait comme assistante-remplaçante dans l’enseignement au Royaume-Uni, les cultes en cantonais d’Outflow permettaient de faire une pause dans l’immersion en anglais.
"Hong Kong me manque toujours beaucoup", confie Chan. "Aller dans une église ici qui reste connectée à Hong Kong me donne un sentiment d’appartenance plus fort." Chez Outflow, elle est responsable des présentations PowerPoint et anime un petit groupe.
Chan et une vingtaine de personnes ont formé le groupe Outflow de Manchester en 2022, en se réunissant toutes les deux semaines. Un an plus tard, ils ont commencé à se retrouver chaque semaine. "Je ressens vraiment que c’est Dieu qui conduit et bâtit cette église, et que nous ne faisons que répondre à son appel", dit Chan. "C’est Dieu qui l’a lancée."
Joyce Wu
Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.