Marché de Noël à Strasbourg : la mairie fait-elle la chasse au crucifix ? [OPINION]

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Toutes les listes de Noël ne sont pas des cadeaux. Et féerie peut rimer avec furie si des édiles zélés confondent police municipale et police des mœurs. C’est, disent certains, ce qui se passe à Strasbourg, où se prépare le fameux Christkindelsmärik, le « Marché de l’enfant Jésus » en alsacien (25 novembre-15 janvier). L’événement attire chaque année deux millions de visiteurs. La métropole du Bas-Rhin le baptise même « Strasbourg Capitale de Noël ». La formule étonne un peu mais elle en souligne bien l’enjeu. Tout un néofolklore assez kitch issu du christianisme d’influence germanique se mêle à une ambiance gemütlich et à la ferveur collective propre aux grandes foires allemandes, phénomène autrefois répandu dans les plaines champenoises. À la lueur des étoiles, tout un monde entre en effervescence, malgré l’hiver ou plutôt grâce à lui.

Cette édition 2022 est intitulée « inventons une nouvelle histoire ». Est-ce la raison pour laquelle la municipalité s’avise d’édicter de nouvelles normes ? Jeanne Barseghian, maire EELV de Strasbourg, passe pour une militante de la doxa écologiste. Début octobre, les exposants reçurent une liste de 350 produits et d’articles interdits à la vente.

Verboten le champagne ou la tartiflette, tout comme les serre-tête ou les ponchos ! Allez savoir pourquoi. La mairie distingue ensuite les produits alimentaires « autorisés sous réserves » et les produits non alimentaires « interdits sous réserves ». C’est subtil mais la première case paraît moins restrictive que la seconde. Si on y trouve la liqueur de pain d’épice ou la bière chaude, il y a aussi les samoussas, les loukoums et l’halva, pas typiquement alsaciens.

Dans l’autre catégorie, la plus récriée, se déploie un inventaire à la Prévert, où les cendriers tutoient les décapsuleurs et le dentifrice les produits d’entretien. Au milieu de ce bazar surgit le crucifix (également désigné « croix de JC »), isolé et perdu entre la cravate de Noël et la boule à eau (avec la neige quand on la secoue...). Cette liste déclencha une polémique. Les oppositions accusèrent la mairie écolo de vouloir faire « la police du bon goût » et de chercher à « gommer l’origine chrétienne » de Noël.

Et pourtant, si nous sommes tous alsaciens, ces élus sont-ils en vert et contre nous ?Pas si simple. L’histoire n’est pas comparable aux précédents buzz déclenchés par des agités du local, qu’ils soient hostiles au sapin de Noël ou au Tour de France. On ne peut pas simplement se scandaliser que la vente de crucifix soit soumise à condition, ce qui pour une fête chrétienne est évidemment paradoxal.

Cela l’est beaucoup moins si on prend acte de l’intention de l’équipe municipale – qui est d’allier authenticité et qualité. Interrogé par 20 Minutes, Guillaume Libsig, adjoint à la mairie de Strasbourg, ne veut plus du côté « parc d’attractions, supermarché pour touristes à ciel ouvert ».

Et de préciser : « On ne veut pas, par exemple, de boules de Noël à 2 euros de mauvaise qualité où Strasbourg est mal orthographié et qui cassent avec le gel. On veut de beaux produits pour que l’évènement soit bien perçu. Un artisan qui fait une belle crèche, oui, de beaux crucifix de qualité, des souvenirs en lien avec l’identité première de Noël qui est effectivement la chrétienté, oui ! Mais les santons, les croix faites par milliers d’exemplaires et livrés par container depuis la Chine, non. »

Tout n’est pas joué, à l’heure où ces lignes sont écrites. Pour les produits autorisés « sous réserves », les organisateurs auront « une discussion avec les exposants pour comprendre « d’où vient le produit ? » « Pourquoi est-ce qu’il est là ? » », détaille encore Guillaume Libsig. La liste sera entérinée « début 2023 », ajoute-t-il.

La polémique pourrait inciter l’Église à réinvestir le champ social et commercial déserté depuis si longtemps. Deux questions émergent pour elle. La première n’est pas nouvelle : comment resacraliser la fête de Noël ? La seconde l’est davantage à l’aune des injonctions à produire moins, mieux et plus près. L’Église pourrait se demander comment faire le tri sur ces lieux de pèlerinage, comme à Lourdes, où s’écoulent tant de produits dont on aimerait vérifier la qualité, la provenance et surtout les conditions sociales dans lesquelles on les fabrique.

Louis Daufresne

Source : 20 minutes

Cet article est publié à partir de La Sélection du Jour.

Crédit image : Shutterstock / Leonid Andronov

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