Menace de dissolution de l’Assemblée nationale : quand le Président concurrence le Parlement

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Alors que les députés viennent de faire leur rentrée le lundi 3 octobre, une menace pèse sur l’Assemblée nationale, celle de la dissolution. Le président de la République a brandi cette arme dissuasive en cas de vote d’une motion de censure du Parlement. Depuis, les nombreuses passes d’armes renvoient dos à dos le déni de démocratie auquel se livre Emmanuel Macron en l’absence de majorité absolue et l’incapacité de l’Assemblée nationale à trouver un large consensus.

Cette tension exacerbée s’inscrit pourtant dans un contexte plus large à la fois d’évitement du Parlement (par le déploiement d’institutions nouvelles comme le Conseil national de la refondation ou le passage de textes sans débat législatif par l’usage de l’article 49.3 et des ordonnances) mais aussi de tentative de transformation de son fonctionnement.

Ces changements étaient notamment exposés dans le projet de loi porté en 2018 afin de la rendre plus représentative, plus responsable et plus efficace, pour « une démocratie plus représentative, responsable et efficace » qui se donnait l’ambition de « rénover le fonctionnement de la démocratie ». Il ciblait alors à la fois les modalités d’accès à l’institution parlementaire, son fonctionnement ordinaire et son rôle législatif en prévoyant notamment une loi constitutionnelle resserrant les délais des discussions législatives, une loi organique diminuant les effectifs parlementaires de 30 % et une loi ordinaire établissant une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif.

Si ce projet de loi est actuellement suspendu, il résonne avec la loi pour la confiance dans la vie politique votée en 2017 qui encadre aussi bien l’activité de conseil par les parlementaires, les emplois familiaux au sein de l’Assemblée, que les « dérives clientélistes » par l’usage abusif de la réserve parlementaire désormais supprimée. Sans juger de la pertinence de telles réformes actées ou archivées, elles sont le reflet d’une mise en accusation désormais routinière du fonctionnement et de l’activité des parlementaires.

Des députés jugés « godillots » ou « bloqueurs »

Au cours du premier mandat d’Emmanuel Macron, c’est l’inutilité du Parlement qui était dénoncée. Favorisée par le fait majoritaire, l’écrasante majorité des députés rencontrait de nombreuses moqueries pour son soutien sans faille au nouveau président de la République et à son gouvernement dont ils votaient l’ensemble des propositions de loi tels des « godillots » ou des « Playmobil ». Une fidélité permise par l’arrivée en 2017 de 72 % de novices ayant coupé la longue file d’attente politique jusqu’alors organisée par les partis politiques.

Du fait de la structure de leur capital – par leurs études de droit ou de science politique mais aussi par leurs professions de cadres supérieurs – ces nouveaux députés ont alors eu d’autant plus « tendance à considérer les problèmes de législation sous un angle plus technique et économique qu’ils ont eu par le passé moins d’activités militantes et politiques ».

En rupture avec cette dépolitisation des débats parlementaires, majorité relative oblige depuis 2022 pour ce second mandat présidentiel, les parlementaires sont cette fois accusés tantôt de bloquer ou d’obstruer les projets de loi gouvernementaux, tantôt de privilégier les coups d’éclats dans l’hémicycle au détriment du « sérieux » du travail législatif.

Dans les deux cas, le pouvoir exécutif définit le Parlement comme une institution qui doit accompagner son activité sans jamais le déranger. Cette mise au pas du parlement et ces critiques d’ordre antiparlementaire ne sont pas nouvelles. Elles ont traversé les siècles dans l’iconographie et les écrits politiques et reposent, sans distinction, sur les circonlocutions d’une Assemblée prétendue inefficace et soumise à d’incessants bavardages inutiles. Elles sont surtout le signe d’une concurrence historique entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

Une Constitution qui tranche en faveur du président

Le droit constitutionnel et électoral tranche en faveur du chef de l’État par la constitution de 1958, par l’élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962 et par l’inversion du calendrier électoral en 2002. Ce parlementarisme dit « rationalisé » de la Ve République tend, toujours davantage, à se renforcer par une présidentialisation accrue du pouvoir.

En témoigne le retour à la surface d’une tradition lointaine marquant cette concurrence : l’ouverture des sessions parlementaires par le chef d’État. Par deux reprises, le 3 juillet 2017 et le 9 juillet 2018, en prenant la parole en début de session parlementaire pour présenter sa politique générale, Emmanuel Macron s’adresse directement au Parlement réuni en Congrès. En s’inspirant des discours du Trône au Royaume-Uni, en Norvège, au Maroc, ou du discours sur l’état de l’Union que prononce chaque année le président des États-Unis devant le Congrès américain, le chef d’État annonce : « tous les ans, je reviendrai donc devant vous pour vous rendre compte » afin de « fixer le sens du quinquennat et c’est ce que je suis venu faire devant vous ».

Quand Emmanuel Macron réunit les parlementaires au Congrès de Versailles. YouTube.

S’il s’agissait d’une première pour la Ve République – rendue possible par la révision constitutionnelle de 2008 – cette promesse n’a pour l’heure pas été tenue. Mais ces cérémonies protocolaires, dont l’usage historique diffère, ont un fort symbole. En effet, elles mettent en scène autant qu’elles contribuent à ratifier l’autorité supérieure d’une institution et la soumission de sa principale concurrente. Elles théâtralisent une concurrence d’institutions disposant d’une même prétention : celle de représenter la nation.

Un conflit pour le monopole à représenter les électeurs

Cette concurrence pour le monopole à représenter les électeurs s’inscrit dans un rapport de force, dans une relation conflictuelle, s’aménageant en fonction de la position relative de chaque institution dans la configuration politique. Par exemple, sous la IIe République, le président de la République prononçait un serment devant les députés « en présence de Dieu et devant le peuple français, représenté par l’Assemblée nationale ». Cette reconnaissance de la seule légitimité des députés à représenter les électeurs est, à l’inverse, totalement déniée dans les configurations impériales.

L’empereur Napoléon Iᵉʳ dans son cabinet de travail en 1807

L’empereur Napoléon Iᵉʳ dans son cabinet de travail en 1807. Wikicommons

Ainsi, Napoléon Ier comme Napoléon III ne voyaient dans le rôle du parlementaire que celui d’une « assistance », d’un « soutien » de la part d’élus « dévoués » assurant une « coopération loyale ». Les députés impériaux plus à même de seconder le chef de l’État que de représenter les électeurs se présentaient alors comme de simples candidats officiels sous le Second Empire. Ne mettant plus en avant leurs qualités propres ou leur parcours, les candidatures sont dépersonnalisées au point de ne se présenter comme un simple représentant naturel du pouvoir exécutif sur le territoire « prêt à le seconder dans son entreprise politique ».

Mais cette situation ne saurait-elle pas rappeler la situation contemporaine ? En 2017, les candidats de la République en Marche sont le fruit d’une sélection par un appel à candidatures avec curriculum vitae et lettre de motivation au sein d’une commission d’investiture du parti. Telle une offre d’emploi, ces candidats novices ont ainsi mis en avant dans leurs professions de foi leur inexpérience politique, leur nouveauté, comme gage de qualité politique. Leur position dépendant pleinement d’un pouvoir exécutif dont ils tirent leur légitimité, ces candidats ont même, au cours des élections de 2022, mobilisé la notion de « candidat officiel d’Emmanuel Macron ». Employant une notion datée de cent soixante-dix ans, se présenter comme candidat « de » interroge le rôle attendu d’un parlementaire désormais représentant naturel local d’un chef d’État que l’on seconde.

La logique de la Ve République encourage et renforce cette redéfinition de l’activité d’un député qui n’est plus exclusivement consacrée à la représentation des électeurs, mais à la mission délégative que le chef d’État a pu lui offrir. Dès lors, l’actuelle configuration politique marquée par le regain de l’opposition parlementaire bouscule cette stabilité et réveille, avec elle, une concurrence historique entre deux institutions ayant la même prétention représentative. La menace présidentielle d’une dissolution en est le signe et résonne alors comme un rappel à l’ordre.

Nicolas Tardits, Doctorant en science politique, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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