Myanmar : de nouvelles sanctions internationales alors que la junte multiplie les exactions contre ses opposants

Myanmar  de nouvelles sanctions internationales alors que la junte multiplie les exactions contre ses opposants

Deux jours avant le second anniversaire de la prise du pouvoir par la junte militaire en Birmanie, plusieurs pays menés par les États-Unis ont durci leurs sanctions contre Naypyidaw, le 31 janvier dernier. Le régime antidémocratique ne cesse de bafouer les libertés et les droits de l’homme, et l’armée commet régulièrement des massacres visant la population. Jusque-là, les protestations internationales n’ont pas suffi, et les sanctions ont été timides.

On était loin des concerts de casseroles et des grèves de 2021 pour dénoncer le coup d’État, le 2 février. Les rues des grandes villes du Myanmar (l’autre nom de la Birmanie) étaient désertes à l’occasion de l’anniversaire du coup d’֤État de 2021, les habitants entendaient ainsi protester contre la mainmise des militaires sur le quotidien, comme l’an dernier.  Des millions d’habitants du pays ont fait la grève en silence, de nombreux commerces sont restés fermés. 

Derrière cette décision, l’appel sur Twitter du Mouvement pour la Désobéissance Civile, comme exactement un an auparavant. Cette organisation informelle est apparue dans la foulée de l’arrestation de divers élus par l’armée, dont le chef du gouvernement Aung San Suu Kyi et le président Win Myint.

Le jour même du coup d’֡État , le Mouvement avait appelé sur Facebook les Birmans à ne pas reconnaître ni participer aux activités du pouvoir. Sur le million de fonctionnaires du pays, plus de 400 000 ne servaient déjà plus en août de la même année, selon le gouvernement, et nombreux sont ceux qui se cachent. Les manifestations plus ou moins calmes avaient même eu lieu à Naypyidaw, la capitale bâtie pour les militaires, où une jeune femme de 20 ans fut la première civile à mourir, tuée d’une balle dans la tête.

Grâce à une constitution remaniée à son propre bénéfice par l’armée en 2008, les militaires détenaient des ministères régaliens dans le gouvernement dirigé de facto depuis 2016 par Aung San Suu Kyi, ancienne opposante à la junte et lauréate du prix Nobel en 1991, ainsi que le quart des sièges au parlement.

Ainis, sur de nombreux dossiers, Aung San Suu Kyi devait composer avec les militaires. Ces derniers ont cependant décidé de reprendre le pouvoir à celle qu’elle avait placée sous résidence surveillée de 1990 et 2010 après que son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), eut remporté les élections législatives, annulées par l’armée. Le général Min Aung Hlaing, chef des forces armées était à la veille de ses 65 ans, âge limite de sa fonction, et la victoire de la LND en 2020, plus importante qu’en 2016, ne laissait guère de doutes quant au fait que le président Wint Myint, issu du parti majoritaire, nommerait un chef des armées plus en phase avec les aspirations démocratiques du pays. 

Les arrestations à la tête de l’État ont été fondées sur des prétextes jugés fallacieux, la dirigeante a été accusée de fraude électorale, de mauvaise gestion du Covid-19 ou encore d’avoir illégalement importé des appareils de communication radiophonique. Un millier de personnes ont trouvé la mort lors des manifestations, dont des mineurs, tandis qu’Aung San Suu Kyi, alors âgée de 77 ans, a été condamnée à un cumul de 33 ans de prison, au terme de plusieurs simulacres de procès, dont le dernier remonte au 30 décembre 2022.

Condamné à quatre ans d’emprisonnement, Wint Myint a révélé que les militaires avaient fait pression pour qu’il démissionne en prétextant des problèmes de santé. Les États-Unis et l’Union européenne avaient notamment dénoncé "un affront à la justice" et le "démantèlement général de la démocratie et de l'État de droit". Environ 13 000 opposants sont actuellement emprisonnés.

Des sanctions assez inefficaces n’empêchant pas l’armée de s’équiper

La nouvelle vague de sanctions décidées par les gouvernements américain, britannique, canadien et australien consiste à geler les avoirs de cadres du régime et d’entreprises publiques dans le secteur de l’énergie. Washington cible notamment la société Myanma Oil and Gas Enterprise qui profite le plus financièrement à l’armée, la Tatmadaw. Le but des sanctions est d’assécher financièrement les capacités de déploiement militaire de la junte qui combat les rebelles des ethnies minoritaires, et tue des partisans de la démocratie et autres civils désarmés.

Jusque-là, Naypyidaw n’a pas cédé face aux sanctions internationales et a maintenu le peuple sous un joug de fer tout en poursuivant sa politique d’épuration ethnique, les exécutions sommaires, les détentions arbitraires. Les dernières mesures visent à compenser des sanctions qui n’isolent pas assez la junte.

"La population continue de refuser le coup d'Etat et de résister mais la communauté internationale n'a pas enclenché les actions qui permettraient de stopper la junte", observe Yanghee Lee, ancienne rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme dans le pays. John Sifton, le directeur de la région Asie chez Human Rights Watch cité par Les Échos, abonde en ce sens et constate que "les mesures prises jusqu'à présent n'ont pas imposé une douleur économique suffisante à la junte pour la contraindre à modifier sa conduite."

Les Birmans ont beau protester, l’armée contrôle les grandes villes et les grands axes, et le régime bénéficie de ses liens avec la Chine qui, si elle a condamné les violences militaires, a refusé de s’associer aux autres membres du Conseil de sécurité de l’ONU en faveur de sanctions. Or, les relations commerciales de la Birmanie ont surtout lieu avec son puissant voisin, ce qui atténue la portée des sanctions internationales.

Par ailleurs, la junte reçoit encore de l’équipement militaire et des matières premières de pays occidentaux et asiatiques, selon un article du Guardian en date du 16 janvier dernier. Le papier cite le Special Advisory Council for Myanmar (Conseil consultatif spécial pour le Myanmar) qui accuse des entreprises basées dans divers pays occidentaux et asiatiques de livrer du matériel à destination de la Direction des Industries de la Défense birmane. Cela permet au pouvoir de consacrer près de 3,5 % de son PIB à l’armée alors que le pays n’est menacé par aucun de ses voisins. Les principales cibles de l’armée sont les rebelles et les civils non armés des groupes minoritaires, indépendantistes ou non, dans un pays où le tiers de la population n’est pas de l’ethnie birmane et est considérée comme un obstacle à l’homogénéité.

Massacre de villageois et destructions de bâtiments religieux

La presse internationale a évoqué à plusierus reprises le sort des Rohingyas musulmans persécutés par le régime - dont la milice elle-même a massacré des villageois hindous. Les chrétiens sont également visés par l'armée. Entre civils attaqués et milices d’autodéfense, la communauté qui représente 8 % de la population birmane est confrontée à l’hostilité du pouvoir qui n’hésite pas à frapper les villages spontanément ou en représailles aux raids menés par les différents groupes d’autodéfense.

C'est notamment le cas dans l’État de Chin où 85 % de la population est chrétienne ou encore dans l’État Kayah (46 %) et celui de Kachin (34 %). L’Armée Karen de libération nationale, majoritairement chrétienne, avait attaqué une base de l’armée régulière près de deux mois après le coup d’État et trois ans de trêve.

L’armée, qui avait fortement persécuté les chrétiens avant la transition démocratique, a tenté de séduire les communautés religieuses après le coup d’État, le général Min Aung Hlaing a visité des monastères bouddhistes et des églises chrétiennes. La junte a fini par changer de stratégie devant le refus des responsables religieux d’accepter le renversement des autorités légitimes, et s’en prend à nouveau aux chrétiens, mais aussi aux bouddhistes (88 % de la population) en mettant en avant des raisons d’ordre public. Les militaires n’hésitent pas à bombarder des monastères bouddhistes, même remplis de civils, dans des régions où les Birmans ne sont pas l’ethnie majoritaire. L’armée multiplie les raids sur les villages, réduisant les demeures à l’état de décombres.

Le 30 décembre 2021, la Tatmadaw a incendié deux églises évangéliques dans l’État Chin. La veille, 40 catholiques venaient d’être inhumés dans le village martyr de Mo So, dans l’État de Kayah, ils avaient été brûlés dans leurs voitures par les militaires le 24 décembre.

Parmi les victimes se trouvaient des femmes et des enfants, ainsi que deux humanitaires de l’ONG Save the Children (Sauvez les enfants). "Leurs mains [étaient] crispées, levées, agrippées : c’étaient les mains de gens en train de mourir dans les flammes et qui tentaient d’échapper à la fournaise", a confié au Monde un travailleur humanitaire qui a vu les dépouilles.

Le crime a été condamné par l’ONU et les États-Unis, sans que cela n’affecte la politique répressive du régime. Le 15 janvier dernier, les soldats ont attaqué Chan Thar, un village majoritairement chrétien, et y ont détruit 500 maisons et incendié l’ancienne église de l’Assomption et un couvent de sœurs franciscaines. 

Le 1er février, le pouvoir a annoncé la prolongation de six mois de l’état d’urgence, qui devait s’achever fin janvier, suscitant des doutes quant à l’organisation des élections générales censées se dérouler au plus tard en août. Le lendemain, il a imposé la loi martiale à 37 municipalités, laissant présager un accroissement des violences contre les civils.

Jean Sarpédon

Crédit image : Shutterstock/ R. Bociaga

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