Népal : peur et espoir pour les chrétiens face aux manifestations

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De jeunes manifestants révoltés par la corruption ont exigé un changement politique, mais les églises sont confrontées à un avenir incertain. "D’ici cinq à dix ans, nous espérons pouvoir vivre ici une vie agréable", a déclaré de manière anonyme une adolescente. 

Le 7 septembre, à la veille de la manifestation historique de la génération Z qui a eu lieu au Népal, l’intellectuelle chrétienne népalaise Karuna Sharma attendait un vol de Katmandou, la capitale, vers Dubaï lorsqu’elle croisa un ancien politicien. Leur conversation dériva vers la manifestation prévue le lendemain contre la corruption gouvernementale, et l’homme politique balaya avec assurance son impact potentiel.

"Il y aura 1 000 à 2 000 jeunes, puis tout retombera", avait-il prédit.

Au contraire, les manifestations ont rapidement dégénéré pour donner lieu aux troubles politiques les plus violents de l'histoire récente du Népal, faisant 74 morts. Des flammes ont ravagé le Parlement. Le Premier ministre K. P. Sharma Oli a démissionné. Suivant les préférences exprimées par les représentants de la contestation, le président a investi l'ancienne juge en chef Sushila Karki comme Première ministre par intérim du Népal.

"Le gouvernement n’a pas vraiment pris la protestation de la génération Z au sérieux", explique Sharma.

"Ils pensaient qu’en effrayant la foule, le mouvement s’éteindrait. C’est pourquoi nous avons assisté à des tirs dès le premier jour. Personne n’avait imaginé que les manifestations prendraient une telle ampleur."

Pour les chrétiens du Népal — l’une des communautés chrétiennes à la croissance la plus rapide au monde —, ce soulèvement a suscité à la fois la peur, en tant que minorité religieuse vulnérable, et l’espoir prudent en un nouveau gouvernement. La plupart des églises ont évité de s’impliquer directement, mais certains croyants ont trouvé des manières de contribuer au mouvement.

Le pasteur Phur Jangbu, de l’Église Boudha Dunamis à Katmandou, a confié à Christian Daily International :

" Nous prions habituellement pour la nation en termes généraux, mais aujourd’hui il est temps de prier spécifiquement pour une bonne gouvernance. Si le pays ne survit pas, comment pourrions-nous survivre ?"

[...] Le matin du 8 septembre, des milliers de jeunes manifestants se sont rassemblés à Katmandou, scandant des slogans contre la corruption et appelant à la justice. À midi, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles dans la foule, tuant au moins 19 personnes dès le premier jour. Le soir, les protestations s’étaient propagées à des dizaines de villes, dont Pokhara, Nepalgunj et Biratnagar.

Au cours des 48 heures qui ont suivi, le paysage politique népalais s’est effondré à une vitesse fulgurante. Les manifestants ont incendié le Parlement, pris d’assaut la Cour suprême et brûlé la résidence du Premier ministre. Des commissariats ont été envahis et des prisons forcées, libérant plus de 13 000 détenus dans les rues.

Alors que les médias attribuaient les incendies aux jeunes de la génération Z, V.K., un chrétien de 24 ans affirme que sa génération restait attachée à une contestation pacifique : "Certains individus, animés d'objectifs politiques, ont mené la population à la violence", a-t-il déclaré.

Le 12 septembre — soit quatre jours après le début des manifestations — Oli avait démissionné et Karki dirigeait le pays.

"Ce n’est pas un gouvernement élu, et les six prochains mois seront très difficiles", explique Tanka Subedi, militant des droits humains et pasteur principal de la Family of God Church à Katmandou.

"Mais nous gardons espoir. Le peuple a réclamé Karki pour son intégrité. Nous prions pour qu’elle conduise la nation vers des élections et préserve la démocratie."

Le Conseil de l'Église nationale unie du Népal (UNNCC) a exhorté les croyants à éviter toute activité provocatrice sur les réseaux sociaux : "Abstenez-vous de publier des messages inutiles ou des commentaires négatifs sur Facebook, TikTok ou d’autres plateformes qui pourraient provoquer des malentendus et alimenter des tensions communautaires", a écrit l’organisation dans un communiqué. Il a plutôt appelé les chrétiens à « s’engager dans la prière pour la paix, la réconciliation et la guérison de la nation ». [..]

Bien que les manifestants n’aient pas directement visé les églises, de jeunes hommes ont menacé une communauté dans l’ouest du Népal, rapporte Christian Solidarity International. Lorsque le pasteur a sollicité l’aide de la police, les agents lui ont conseillé de contacter l'armée, qui était inaccessible.

Subedi a personnellement contacté plusieurs églises pour prendre des nouvelles des membres chrétiens de la génération Z. "Nous remercions Dieu de n'avoir entendu parler d'aucun chrétien tué ou blessé pendant ces violences", affirme-t-il. [...]

Les manifestations ont mis en lumière la profonde frustration d’une génération longtemps ignorée par l’élite dirigeante du Népal. Le chômage des jeunes atteignait 20,8 % en 2024. Chaque année, des dizaines de milliers de jeunes quittent le pays pour travailler dans les États du Golfe, souvent dans des conditions dangereuses. Jusqu’à 15 000 Népalais auraient même été recrutés comme soldats sous contrat dans la guerre russe contre l’Ukraine. 

Pendant ce temps, les enfants de politiciens exhibaient un train de vie luxueux en ligne. [...] 

Les chrétiens du Népal partagent cette profonde frustration, mais leur situation présente des vulnérabilités particulières. Selon Operation World, 2,9 % de la population se déclare chrétienne, soit environ 866 000 personnes. Pourtant, le recensement officiel de 2021 n’a comptabilisé que 512 313 chrétiens. Les analystes estiment que cette différence pourrait s’expliquer par une sous-déclaration et par la forte proportion d’églises de maison. Pour les chrétiens, ces chiffres contestés révèlent à la fois une croissance remarquable et une fragilité persistante, les statistiques devenant souvent un enjeu politique dans les débats sur la liberté religieuse.

En 1961, on dénombrait moins de 500 chrétiens dans tout le pays. Aujourd’hui, des croyants pratiquent leur foi dans chaque district. Les églises de maison se sont multipliées durant la guerre civile népalaise (1996-2006), puis après l’abolition de la monarchie en 2008, période où de nouvelles libertés ont favorisé une expansion inédite. Cependant, les chrétiens ont aussi subi du harcèlement, des arrestations ponctuelles et des accusations d’influence étrangère. [...]

Comme le reste du pays, les chrétiens font face à un avenir incertain. Les jeunes croyants comme V.K. et l’adolescente anonyme oscillent entre inquiétude et résilience. "D’ici cinq à dix ans, nous espérons pouvoir vivre ici une vie agréable", confie l’adolescente. Surinder Kaur

Un article de Christianity Today.

Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.

Crédit image : Shutterstock / Sathyam_19

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