
Alors que plusieurs gouvernements africains resserrent leur contrôle sur les églises, des pasteurs rwandais dénoncent des excès politiques.
Dans un précédent article, AJ Johnson expliquait comment les nouvelles réglementations imposées aux Églises au Rwanda entravent la liberté de culte des chrétiens. Aujourd’hui, il décrit la réponse de ceux-ci.
Les communautés se rassemblent dans l’ombre. Un verrou claque. Des sandales frottent contre le carrelage. Quand le cantique commence, il est plus chuchoté que chanté, pour que le son ne monte pas dans la cage d’escalier.
Plus de 7 700 églises restent fermées depuis l’inspection massive des lieux de culte menée en août 2024 par le gouvernement rwandais. Le durcissement des règles — avec l’obligation de longues formations pastorales et des inspections allant des toilettes aux niveaux de bruit — ne se contente pas d’alourdir les contraintes des églises et d’en pousser certaines à la clandestinité. Il a aussi un effet dissuasif sur la parole des pasteurs.
Malgré le risque de représailles du gouvernement, certains pasteurs rwandais s’opposent à ces nouvelles règles. Christianity Today a accepté de modifier ou de taire certains noms pour les protéger.
Pour les pasteurs ruraux, les réformes sont simplement intenables. "À Kigali, le voisinage peut être affecté par le bruit d’une église. Mais à Kagera, il y a une église perchée dans la montagne, sans aucune maison autour. Les fidèles n’ont ni voitures ni même motos, donc le problème de stationnement ne devrait pas être un problème", explique le pasteur Kabagambe Nziza, de la New Life Bible Church.
Les églises rurales ne parviennent pas à recueillir suffisamment de signatures locales à l’appui de leur communauté. "Pourquoi exiger 1 000 signatures ? Les églises sont-elles des partis politiques ?", s’interroge un autre pasteur, qui a demandé l’anonymat.
Des organisations de défense des droits humains relaient ces inquiétudes. En juillet, l’Alliance évangélique mondiale a soumis à l’ONU un rapport estimant que la réglementation rwandaise est contraire à la Constitution du pays et "non conforme aux normes internationales en matière de droits humains".
En février, l’organisation chrétienne Portes ouvertes affirmait que ces mesures découlent d’une "paranoïa dictatoriale", l’un des moteurs principaux de la persécution au Rwanda, où le gouvernement exerce un contrôle important sur les institutions et pratiques religieuses.
Ces fermetures n’ont pas qu’un impact spirituel : elles déchirent le tissu social du Rwanda.
En plus d’être des lieux de culte, les églises servent de plateformes de soins post-traumatiques et de guérison pour les communautés. Plus de 64 000 Rwandais ont participé à Mvura Nkuvure, un programme de sociothérapie communautaire dirigé par des organisations religieuses, qui aide à reconstruire la confiance et la dignité partagée.
Les participants affirment que cette thérapie favorise la sécurité, la confiance, l’attention et le respect entre anciens ennemis. Survivants et auteurs de violences se retrouvent dans des forums de réconciliation organisés par l’Église, pour écouter et pardonner. Beaucoup décrivent ce processus comme une restauration non seulement de leur équilibre émotionnel, mais aussi des liens communautaires, a rapporté l'agence Catholic News.
Une étude académique de 2024 a confirmé que les églises et institutions religieuses jouent un rôle crucial en matière de santé mentale au Rwanda, en soutenant les rescapés de conflits grâce à des soins accessibles et adaptés à leur culture.
Sans les églises, les quartiers perdent des services essentiels : formations professionnelles, accompagnement psychologique, aide aux orphelins et prêts. Le pasteur Kamanzi, déjà cité dans l’article précédent, empile les chaises après un culte. "Les églises ne sont pas seulement faites pour prêcher. Ce sont des lieux de guérison et de communauté", dit-il. Aujourd’hui, des rassemblements clandestins tentent de combler le vide, mais la peur reste présente :
"Nous essayons de ne pas chanter trop fort."
Fin juillet, un groupe de pasteurs et responsables évangéliques rwandais a commencé à travailler discrètement sur un projet proposant des ajustements au cadre réglementaire actuel. Même si ce texte n’a pas été publié officiellement par souci de sécurité, il reflète une volonté interne croissante, mais prudente, de soumettre des réformes au gouvernement.
Les principales propositions du document de synthèse comprennent le rétablissement de la période de conformité de cinq ans pour les responsables de communautés, la suppression du quota de 1 000 signatures dans les zones rurales, l'acceptation d'une formation théologique modulaire ou informelle pour les pasteurs et l'exemption des églises déjà approuvées lors d'inspections antérieures.
"La régulation n’est pas mauvaise en soi", peut-on lire dans le projet.
"Mais elle doit être humaine, équitable et fondée sur le dialogue."
Pour l’instant, ses auteurs n’ont publié aucune communication officielle, et le gouvernement n’a donné aucun signe d’avoir reçu de telles propositions. Les rédacteurs préfèrent rester anonymes, craignant des représailles.
Dans un village rural, une pasteure dirige la prière dans une grange aux murs de terre. Sa communauté, trop pauvre pour insonoriser son bâtiment ou payer les frais de culte, s’agenouille sur un sol de terre battue, leurs murmures se mêlant au bruissement des plants de maïs dehors. "Ces règles sont faites pour les villes, pas pour nous", dit-elle.
"Mais nous n’arrêterons pas de louer."
Sa défiance reflète une lutte plus large.
Les règles strictes du Rwanda, qui ferment des milliers d’églises et imposent des diplômes pastoraux, se distinguent, mais elles reflètent aussi une tendance plus large en Afrique : plusieurs gouvernements renforcent leur contrôle sur la religion, assimilant souvent les communautés religieuses authentiques aux opérateurs illégaux et modifiant radicalement les règles.
Au Kenya, un groupe de travail s'est réuni après le scandale de la secte de Shakahola et a proposé d'exiger une certification théologique et un registre d'État pour les pasteurs. En 2023, cette secte apocalyptique dirigée par Paul Nthenge Mackenzie a contraint ses fidèles à se laisser mourir de faim pour "rencontrer Jésus". Plus de 400 personnes sont mortes, dont de nombreux enfants. Les autorités ont récemment découvert cinq autres corps dans des tombes voisines, portant à 27 le nombre de lieux d'inhumation suspects. Ce drame a suscité de vifs débats sur la régulation des pratiques religieuses. Certains proposent davantage de contrôle, mais plusieurs évangéliques craignent une politisation et une atteinte à la liberté de culte.
En Tanzanie, l’Église du politicien Josephat Gwajima a été fermée après que celui-ci a accusé l'État de violations des droits humains. En Guinée équatoriale, un décret impose à toutes les organisations religieuses de se réenregistrer sous peine de fermeture. En Afrique du Sud, de nouvelles lois sur la protection des données ont soulevé des inquiétudes pour les églises partageant des photos ou des témoignages de membres en ligne.
Ces mesures, qu’elles soient déclenchées par des abus, de la méfiance ou une stratégie plus spécifique, témoignent d’une tendance régionale : formaliser, filtrer, parfois frustrer l’expression religieuse. Ces politiques uniformes, destinées à éliminer les prédateurs, piègent souvent les humbles fidèles, poussant la piété dans la clandestinité, faute de distinguer les fidèles des fraudeurs.
La réglementation rwandaise trop rigide a transformé les sanctuaires en lieux de rassemblement clandestins. Les pasteurs ruraux comme Nziza sont confrontés aux mêmes exigences que les mégaéglises urbaines. La règle des 1 000 signatures met en difficulté les petites congrégations, forçant des milliers de personnes à pratiquer leur culte en secret. Cette approche, selon ses détracteurs, sacrifie la liberté spirituelle au profit du contrôle bureaucratique, réduisant au silence les communautés mêmes qu'elle prétend protéger.
Dans sa maison, à la tombée de la nuit sur les collines de Kigali, le pasteur Kamanzi sort une bougie blanche d’un tiroir et la pose sur le rebord de la fenêtre.
Son plus jeune fils tire sur sa manche : "
Papa, quand est-ce qu’on retournera à l’église ?"
Kamanzi s’agenouille près de lui, les yeux fixés sur la flamme vacillante.
"Bientôt", murmure-t-il.
"Mais en attendant, nous prions ici."
AJ Johnson
Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.