
Sainte-Sophie est redevenue une mosquée suite à une décision du Conseil d’État turc qui soulève de nombreuses réactions.
Le 10 juillet, le Conseil d’État turc a affirmé que Sainte-Sophie était « au service du public en tant que mosquée » et que ce statut « ne peut être modifié ». Cette annonce historique a soulevé de nombreuses réactions internationales. Construite par les Byzantins au 6ème siècle, l’église était devenue une mosquée en 1453 à l’occasion de la prise de Constantinople par les Ottomans. En 1935, elle était devenue un musée.
L’UNESCO, qui l’avait classée au patrimoine mondial de l’humanité en tant que musée, a exprimé ses profonds regrets et ses « graves préoccupations », qui ont d’ailleurs été présentées auprès de l’ambassadeur de Turquie.
« La Directrice générale de l’UNESCO regrette profondément la décision des autorités turques, prise sans discussion préalable, de changer le statut de Sainte-Sophie. Ce soir, elle a fait part de ses graves préoccupations à l’Ambassadeur de Turquie auprès de l’UNESCO. [...] Cette décision annoncée aujourd’hui pose la question de l’impact de ce changement de statut sur la valeur universelle du bien. »
Sa directrice générale, Audrey Azoulay, s’exprimait ainsi sur Twitter :
« #HagiaSophia est un chef-d’œuvre architectural et un symbole unique d’interactions entre l’Europe et l’Asie au cours des siècles. Son statut de musée, inscrit sur la #WorldHeritage liste reflète son caractère universel et constitue un puissant appel au dialogue. »
Lina Mendoni, ministre de la culture grecque, estime qu’il s’agit d’une « provocation ouverte » dans des propos repris par Reuters.
« La décision prise aujourd’hui, qui résulte de la volonté politique du président (Tayyip) Erdogan, est une provocation ouverte au monde civilisé qui reconnaît la valeur unique et la nature œcuménique du monument. »
Pour le Premier Ministre grec, il s’agit d’un « affront à son caractère oecuménique ».
« La Grèce condamne catégoriquement la décision de la Turquie de convertir Sainte-Sophie en mosquée. Cette décision, prise 85 ans après que Sainte-Sophie a été déclarée musée, est un affront à son caractère œcuménique. En outre, c’est une décision qui offense tous ceux qui reconnaissent Sainte-Sophie comme un élément indispensable du patrimoine culturel mondial. Cette décision affecte clairement non seulement les relations de la Turquie avec la Grèce, mais aussi ses relations avec l’Union européenne, l’UNESCO et la communauté mondiale dans son ensemble. Il est vraiment regrettable que les dirigeants turcs, après avoir travaillé pour l’Alliance des civilisations en 2005, aient maintenant pris la décision de changer de cap. »
Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, a également réagi. Il affirme que « la France déplore » cette décision.
« La France déplore la décision du Conseil d’Etat turc de modifier le statut de musée de Sainte-Sophie et le décret du Président Erdogan la plaçant sous l’autorité de la direction des affaires religieuses. Ces décisions remettent en cause l’un des actes les plus symboliques de la Turquie moderne et laïque. L’intégrité de ce joyau religieux, architectural et historique, symbole de la liberté de religion, de tolérance et de diversité, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, doit être préservée. Sainte-Sophie doit continuer à représenter la pluralité et la diversité du patrimoine religieux, le dialogue et la tolérance. »
Pour le Conseil des Églises du Proche-Orient, « convertir l’église «Sainte-Sophie» en mosquée est une violation de la liberté religieuse et de la coexistence ». Dans un communiqué partagé le 11 juillet, il appelait les Nations Unies et la Ligue des États arabes à faire « appel de la décision de la Cour suprême turque ».
Du côté du monde chrétien, les réactions se multiplient également.
Le Patriarcat de Babylone des Chaldéens a exprimé sa « tristesse et douleur », dans une déclaration reprise par l’Agence Fides.
« Les musulmans d’Istanbul n’ont pas besoin d’une nouvelle mosquée dans leur ville, où en existe déjà un nombre incalculable. »
Le Pape François dit lui aussi ressentir « une grande douleur » en pensant à Sainte-Sophie.
« La mer amène ma pensée un peu plus loin : à Istanbul. Je pense à Sainte-Sophie et je ressens une grande douleur. »
Le Conseil Oecuménique des Églises, par l’intermédiaire de son secrétaire général par intérim, Ioan Sauca, a écrit une lettre au président Erdogan. Il y exprime « son fervent espoir et sa prière pour que Sainte-Sophie ne devienne pas une fois de plus un foyer d’affrontements et de conflits » et son espoir « qu’elle retrouvera le rôle unificateur emblématique qu’elle a servi depuis 1934 ».
« Depuis qu’elle a commencé à fonctionner comme un musée en 1934, Sainte-Sophie a été un lieu d’ouverture, de rencontre et d’inspiration pour des personnes de toutes les nations et de toutes les religions, et une expression puissante de l’engagement de la République de Turquie envers la laïcité et l’inclusion et de son désir de quitter derrière les conflits du passé. [...] Aujourd’hui, cependant, je suis obligé de vous transmettre la douleur et la consternation du Conseil œcuménique des Églises - et de ses 350 Églises membres dans plus de 110 pays, représentant plus d’un demi-milliard de chrétiens dans le monde - à l’étape que vous avez franchie. [...] Monsieur le Président, vous avez affirmé à plusieurs reprises l’identité de la Turquie moderne en tant qu’État laïc, mais hier, vous avez annulé un engagement qui, depuis 1934, a conservé ce monument historique en tant que patrimoine commun de l’humanité. Afin de promouvoir la compréhension mutuelle, le respect, le dialogue et la coopération, et d’éviter de cultiver de vieilles animosités et divisions, nous vous invitons instamment à reconsidérer et à inverser votre décision. »
M.C.
Crédit Image : Fedor Selivanov / Shutterstock.com
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