Témoignage d’un pasteur iranien : « La politique du régime est profondément répressive à l’endroit des chrétiens »

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Observé pour sa répression des manifestations contre le port obligatoire du voile, l’Iran réprime d’autres libertés, notamment celles concernant la croyance ou l’incroyance. InfoChrétienne a contacté le pasteur David (pseudonyme pour des raisons de sécurité), un des responsables des églises d’Iran qui vit en exil. Il nous apporte son éclairage sur la situation politique et le sort des chrétiens du pays.

InfoChrétienne : David, vous connaissez très bien le système iranien. Alors que le pays connaît des troubles populaires, Ali Khamenei le guide suprême de la Révolution islamique a accordé sa grâce à deux chrétiens détenus à la prison d’Evin : qu’en pensez-vous ?

David : Il est possible que cette libération vise à atténuer les tensions, car le pouvoir fait face à de telles difficultés au point qu’il est question de la survie du régime. Il est fragilisé, on peut donc voir de petits gestes à destination de la communauté chrétienne.

IC : Vous parlez de fragilité, la situation est-elle très grave pour le pouvoir ?

David : La question de la succession de Khamenei se pose, et des signes indiquent qu’il souhaite voir son fils Mojtaba lui succéder comme dans un régime dynastique. Ce n’est pas fait pour plaire à tout le monde, loin de là ! De nombreux responsables s’y opposent et cela crée des tensions au sommet, alors que la santé de l’ayatollah pose question. Il a déjà été traité pour un cancer de la prostate.

Il faut savoir qu’à chaque fin de règne, les gens s’interrogent quant à l’avenir. En 1979, le chah Mohammad Reza Pahlavi était atteint d’un cancer incurable, son entourage le voyait, et cela a précipité sa fin. Mais cela peut ne pas se reproduire.

IC : Savez-vous si ces tensions au sommet peuvent avoir une influence sur les mouvements populaires ?

David : Certains clans au sein du système soutiennent les manifestations. Ces responsables ne veulent pas que Mojtaba prenne la succession de son père, car il est jugé trop brutal. Cela n’explique pas les mouvements dans la rue, mais il y a une conjonction d’éléments qui font que la crise perdure. Et le contexte international, concernant le nucléaire iranien ainsi que la formation d’un axe Téhéran-Moscou, accentue l’intérêt pour ce qui se passe.

IC :  Vous connaissez également très bien la situation religieuse du pays, que pouvez-vous nous en dire ?

David : La politique du pays est profondément répressive à l’endroit des chrétiens, même par rapport aux chrétiens historiques, de souche. Ils sont considérés comme des citoyens de seconde zone, leurs droits sont très limités, mais on les garde pour dire que le pouvoir respecte les minorités (grecques, orthodoxes, assyriens, catholiques chaldéens). 70 % d’entre eux ont quitté le pays depuis la révolution de 1979.

Le gouvernement essaie de choyer certains représentants des communautés chrétiennes [ndr : il y a cinq sièges réservés aux minorités au Parlement] pour les instrumentaliser. Par exemple l’ancien député Yunathan Bethkolia est utilisé par le gouvernement pour des contacts avec l’étranger.

IC : Et à côté des chrétiens historiques, il y a ceux qui ont quitté l’islam, un milieu que vous connaissez particulièrement pour l’avoir fréquenté…

David : La situation des évangéliques est pire, car ils sont considérés comme sectaires. En fait, c’est surtout le fait que les évangéliques sont majoritairement d’anciens musulmans qui pose problème. Il faut indiquer sa religion sur un formulaire, et on rencontre deux situations : d’une part, il y a des personnes qui ont une foi chrétienne et participent à des cultes mais qui ne vont pas confesser être chrétiennes sur le formulaire de l’État, car c’est très risqué ; d’autres part il y a ceux qui confessent être chrétiens et sont toujours persécutés. Certains groupes peuvent éviter la persécution en acceptant de payer les agents de la police politique, alors que d’autres sur la base d’Actes 24.26 refusent de le faire et vont en prison.

Depuis la révolution, les groupes chrétiens étaient parfois contraints de communiquer les noms des fidèles aux autorités en contrepartie d’une liberté d’exercer. Cela dit, avec l’élection de Mahmoud Ahmadinejad en 2005, la persécution s’est faite plus féroce et les chrétiens sont davantage réticents et ne veulent plus donner leurs noms et ne communiquent plus sur leurs activités.
Beaucoup de pasteurs n’avaient pas le droit de se déplacer hors de leurs villes sans en informer le ministère du Renseignement. L’intensification de la persécution a amené les églises à comprendre que les accords avec le gouvernement ne valaient plus rien.

IC : On se souvient des assassinats en 1994 de pasteurs comme l’évêque Haik Hovsepian Mehr, de l’église arménienne, ou le pasteur Mehdi Dibaj, ancien musulman, attribués par le pouvoir aux Moudjahidines du peuple d’Iran. Les chrétiens n’étaient pas dupes, mais on sait depuis 2016, grâce à un ancien membre du cabinet du président Hachemi Rafsandjani, présenté comme un modéré, que le pouvoir était impliqué. Les chrétiens redoutent-ils encore aujourd’hui des assassinats ?

David : Le risque d’assassinats de pasteurs à l’intérieur du pays dans le style de l’époque est à minimiser, car l’option est d’étouffer la contestation. L’attribution au Moudjahidines du Peuple d’Iran répondait surtout à des impératifs de politique internationale, mais personne n’a jamais été dupe. Ces assassinats visaient, en fait, à terrifier les chrétiens, en sachant qu’ils voyaient au-delà des récits officiels la main du gouvernement, mais le pouvoir recourt à des meurtres camouflés en accidents. Il sait punir sans faire de bruit !

IC : Justement, l’évêque Haik Hovsepian Mehr refusait que les autorités disposent des noms des personnes fréquentant son mouvement d’églises, mais également de se plier à l’interdiction d’effectuer les cultes en persan. Qu’en est-il aujourd’hui de l’interdiction de s’exprimer dans la langue nationale ?

David : Les autorités désapprouvent l’usage du persan dans les cultes chrétiens. En tant que langue nationale, le persan est compris d’une majorité d’Iraniens alors que les langues liturgiques « chrétiennes » sont mal comprises et donc ne participent pas à la transmission du contenu de la doctrine chrétienne. Tout l’enjeu est là. Cependant, les mécanismes de répressions évoluent et le gouvernement a su mettre en place un réseau d’« églises alternatives » où le persan est utilisé. Les membres de ces églises sont souvent des « chrétiens de cœur » qui restent souvent officiellement musulmans. Faute de pouvoir faire face à la montée du christianisme le pouvoir tente, d’encadrer le mouvement. Il s’agit d’une réplique améliorée du modèle chinois.

IC : Nous arrivons à la fin de notre entretien. Nous avons parlé de la situation politique actuelle, du sort des chrétiens ; qu’en est-il de la montée de l’athéisme en Iran ?

David : Depuis longtemps, beaucoup d’Iraniens ne croyaient plus dans l’islam, mais il est difficile d’évaluer l’importance de l’apostasie. Contrairement à l’Occidental qui associe Dieu à la religion, le Perse peut facilement croire en Dieu, sans avoir de religion. Je parlerais plutôt d’interrogation, d’agnosticisme sinon de snobisme culturel. Il y a un biais dans les enquêtes qui évoquent le sujet : elles ciblent par exemple des gens inscrits sur les réseaux sociaux qui ne sont pas forcément représentatifs de la population. La situation, beaucoup plus complexe, dépend également de la géographie, beaucoup de gens posaient un critique sur l’islam déjà avant la révolution dans certaines régions, alors que dans les régions turcophones le lien avec la religion est plus fort.

Le pays a aussi une histoire judéo-chrétienne, avec une dominante juive dans une grande partie de l’ouest et une chrétienne dans la partie est. Ce n’est que vers le XIIIe siècle que la Perse est devenue majoritairement musulmane, mais ce passé judéo-chrétien explique des particularités du pays comme le rejet de la polygamie.

David, merci de nous avoir accordé ce temps d’échange !

Jean Sarpédon

Crédit image : Shutterstock/ Emmy Liana Dewi

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