Une découverte en Turquie orientale pourrait bouleverser l’archéologie [OPINION]

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C’est une cavité qui contient une douzaine de colonnes phalliques taillées dans la roche et qui mesurent plus de 2 mètres. Dans la paroi, une étrange tête sculptée et grimaçante comme une gargouille observe cet ensemble. Un être humain, un démon, un dieu ou un prêtre ? On n’en sait rien… Mais cette découverte dans la plaine poussiéreuse d’Harran a provoqué la stupéfaction des chercheurs. Car le site de Karahan Tepe, dans les confins orientaux de l’Anatolie, est vieux de 11 000 à 13 000 ans !

À titre de comparaison, la Grande Pyramide de Gizey est une jeunette de 4500 ans. La plus vieille construction humaine était, jusqu’à maintenant, le site funéraire de Barnenez en Bretagne : 7000 ans… Donc Karahan Tepe, avec sa cavité remplie de totems phalliques et tous les autres monuments qui l’entourent – des autels, des sanctuaires, des caves et des salles d’audience – défie les présupposés de l’anthropologie moderne. Pensez ! À Karahan Tepe, on s’enfonce dans le temps, à une époque où l’agriculture n’avait pas encore été maîtrisée... Il semble incroyable que de frustres chasseurs-cueilleurs puissent construire une ville-sanctuaire équipée de canaux pour distribuer l’eau. Et les collines environnantes pourraient cacher de multiples sites similaires. Ce serait donc un immense réseau conçu par l’homme que dissimulait depuis des temps immémoriaux la poussière de cette région aride ! Des archéologues évoquent la plus grande découverte de l’histoire de l’humanité, relate Sean Thomas dans The Spectator (voir son article en lien).

Tout a commencé en 1994, grâce à un berger qui a buté sur de curieux affleurements de pierres oblongues. Au départ, on dégage un grand nombre d’énormes pierres en forme de T. Ces mégalithes ont la particularité d’être finement gravés : léopards, sangliers, vautours, renards etc… parfois accompagnés de visages humains. Ils représentent des hommes debout, cachant leurs organes génitaux. Les découvertes vont s’enchaîner dans une certaine indifférence jusqu’à la découverte de cette chambre rituelle. Il faut dire que ce site a provoqué tellement d’interrogations que les savants ont eu du mal à accepter ce qu’il semblait dire de notre passé.

C’est l’excavation de cette chambre rituelle qui a donné le vertige aux spécialistes. On pensait que les groupes humains se rassemblaient une fois que les rudiments de l’agriculture et de l’élevage étaient acquis. C’était d’abord, croyait-on, l’invention de l’agriculture qui avait permis l’émergence des civilisations, et son cortège de progrès majeurs : l’apparition des fermes, de la poterie, et des hiérarchies sociales. Alors seulement, les hommes avaient eu l’esprit suffisamment dégagé des problèmes de survie pour s’intéresser à l’au-delà. Karahan Tepe indiquerait l’inverse : le spirituel serait à l’origine des premières communautés humaines. Les chasseurs-cueilleurs auraient ressenti le besoin de se rassembler pour célébrer des rites. Et leurs regroupements auraient rendu nécessaire le développement de l’agriculture pour nourrir la communauté.

C’est d’abord dans le Croissant fertile, berceau des religions monothéistes, qu’homo sapiens a délaissé la cueillette pour travailler la terre… L’histoire d’Adam et Ève chassés du Jardin d’Eden est souvent vue comme une allégorie de la révolution du néolithique. Nos ancêtres ont abandonné leur mode de vie libre de chasseurs-cueilleurs pour péniblement se mettre à cultiver. L’apprentissage de l’agriculture a été très dur et les bénéfices longs à venir. On travaillait tout le jour durant, et les maladies se sont multipliées à cause de la proximité des animaux domestiques. L’archéologue Klaus Schmidt a vu dans ce site extraordinaire, qu’il fut le premier à explorer, un témoignage de ce passage capital dans l’histoire de l’humanité. Mais plus on creuse, plus le mystère s’épaissit. Quel culte rendaient-ils autour de ces totems phalliques ? Une chose est établie : vers 8000 ans avant J.C., ceux qui fréquentaient ces lieux rituels les ont enterrés sous des gravas pour une raison inconnue. Une chance : les monuments sont restés à l’abri et le creusement est facile.

On a maintenant la preuve que des logements existaient. Donc les chasseurs-cueilleurs ne se rassemblaient pas seulement pour des rituels. Ils ont vécu là. On a trouvé récemment des vestiges d’instruments de fermentation pour produire de l’alcool. Il s’agissait de chasseurs-cueilleurs particulièrement sophistiqués… Détail étrange : les humains représentés ont 6 doigts. Une anomalie génétique ou un symbole ?

Les archéologues estiment que seul 1% de l’ensemble du site a été découvert. Une question brûlante se pose : comment imaginer que ce peuple ait pu concevoir et construire un ensemble aussi vaste et complexe sans savoir écrire ? Il reste que ce témoignage datant de la fin de l’ère glaciaire nous parle de l’époque où nos ancêtres ont quitté le Jardin d’Eden. Il semble montrer que le moteur premier des civilisations les plus anciennes était un appétit spirituel plus impérieux que le besoin d’accumuler de la nourriture…

Ludovic Lavaucelle

Source : The Spectator

Cet article est publié à partir de La Sélection du Jour.


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