
Alors que l’Inde libère l’assassin du missionnaire australien Graham Staines et de ses fils, un chrétien indien choisit l’acceptation.
À sa sortie de la prison de Keonjhar, dans l’État indien de l’Odisha, en avril, Mahendra Hembram a été accueilli en héros. Ses soutiens l’ont couvert de guirlandes et ont crié "Jai Shri Ram !" ("Gloire au seigneur Ram !") Face aux journalistes qui l’attendaient, Hembram a clamé son innocence après ses 25 années de prison.
Associé au groupe extrémiste hindou Bajrang Dal, Hembram avait été condamné à la prison à vie pour avoir brûlé vif le missionnaire australien Graham Staines et ses deux fils, âgés de six et dix ans, en 1999. Les autorités lui ont accordé une libération anticipée pour bonne conduite.
Le Vishwa Hindu Parishad, un groupe extrémiste hindou affilié au parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party, a salué la libération d’Hembram. "C’est un bon jour pour nous. Nous saluons la décision du gouvernement", a déclaré Kedar Dash, le secrétaire adjoint du groupe, au Times of India.
Beaucoup dans la communauté chrétienne ont critiqué la joie exprimée lors de la libération d’Hembram.
"C’est un meurtrier condamné pour le crime le plus horrible, et on le réintègre maintenant tranquillement dans la vie civile après un long séjour en prison", nous commente John Dayal, militant et porte-parole du United Christian Forum for Human Rights.
Les meurtres de 1999 avaient choqué le monde entier. Une foule d’extrémistes hindous avait incendié une jeep dans laquelle se trouvaient Staines et ses deux enfants. Pourtant, les autorités ont réduit les peines de tous les assaillants, ce que certains considèrent comme un signe de la montée du nationalisme hindou dans le pays. Le Bureau central d’enquête de l’Inde avait initialement arrêté 51 personnes impliquées dans le meurtre. Mais au fil des années, le tribunal a acquitté tous les suspects, à l’exception d’Hembram, Dara Singh et Sudarshan Hansda, alias Chenchu.
Singh, également reconnu coupable de deux autres meurtres, avait d’abord été condamné à mort avant que les juges ne réduisent sa peine à la prison à perpétuité. Il plaide actuellement pour une libération immédiate. Chenchu, mineur au moment des faits, a vu sa peine être réduite de 14 à 8 ans.
Subhankar Ghosh, un proche ami des Staines et témoin oculaire des meurtres, ne s’est pas indigné en apprenant la libération d’Hembram.
La réaction de Gladys, l’épouse de Graham Staines, après les meurtres, reste pour Ghosh un modèle. Gladys avait publiquement pardonné aux meurtriers et est revenue diriger le centre pour lépreux où travaillait son mari. Aujourd’hui, leur héritage perdure dans le village reculé où ils ont vécu.
"Même Gladys leur a pardonné, alors qui suis-je pour dire que je ne pardonnerai pas ?" explique Ghosh.
Graham Staines était arrivé en Inde le premier en 1965 pour travailler au sein de la mission contre la lèpre de la Société missionnaire évangélique de Mayurbhanj (EMSM). Des missionnaires avaient fondé ce centre en 1895 après que le roi de Mayurbhanj, Sri Rama Chandra Bhanja Deo, les ait invités à venir travailler auprès des lépreux. Il lui tenait particulièrement à cœur d’éradiquer cette maladie, car sa fille en souffrait personnellement.
Gladys est arrivée à Mayurbhanj en 1981 comme missionnaire avec Opération Mobilisation. C’est là qu’elle a rencontré Graham, et ils se sont mariés deux ans plus tard. En plus de leur engagement dans la lutte contre la lèpre, le couple servait les églises locales et organisait des camps chrétiens pour fortifier la foi des croyants de la région.
Des membres locaux du Bajrang Dal étaient cependant révoltés de voir des membres de la tribu Santhal se convertir au christianisme, et accusaient les missionnaires de détruire la culture indigène. Dans une lettre écrite par Hembram à sa belle-sœur après le meurtre, il explique qu’ils étaient furieux de voir les villageois manger du bœuf – les vaches étant sacrées dans l'hindouisme – et de voir les missionnaires distribuer des serviettes hygiéniques et des soutiens-gorge aux membres de la tribu.
Tout bascule en janvier 1999. Staines, ses deux fils et plusieurs autres chrétiens organisaient un camp de cinq jours dans les jungles du village de Manoharpur. Ghosh, un professeur de botanique et collaborateur fréquent de Staines, y avait été invité comme intervenant. Dans la nuit du 22 janvier 1999, Staines et ses deux fils dormaient dans leur jeep, garée devant une petite église de Manoharpur. Pendant ce temps, Ghosh et un autre chrétien, Gilbert Venz, dormaient dans une petite maison en terre, à environ 200 mètres du véhicule. C’est le récit qu’en fait le livre non publié de Ghosh, Flames of Fire.
Vers minuit, Ghosh est réveillé par les cris d’une foule hurlant : "Maro, maro ! Dara Singh zindabad !" ("Tuez-les ! Longue vie à Dara Singh !"). Il n'avait aucune idée de ce qui se passait et, lorsqu'il tenta de sortir pour voir, il découvrit que les assaillants avaient bloqué les portes des cabanes, pour les empêcher de sortir. Il faisait nuit noire, écrit-il, et la maison n'avait pas de fenêtres, seulement un petit vasistas à travers lequel Ghosh a vu les assaillants crever les pneus de la Jeep de Staines, le frapper lui et ses fils, puis les pousser dans la Jeep lorsqu'ils tentèrent de s'échapper.
Il a vu des villageois courir pour aider le missionnaire, mais les assaillants les ont menacés et frappés. Alors qu’il les voyait mettre le feu à la jeep et ses amis être engloutis par les flammes, il s’est agenouillé, impuissant, pour prier.
"Nous sommes tellement désolés de n’avoir rien pu faire à cette heure de mort pour Graham et les enfants", écrit encore Ghosh dans son livre.
"Nous étions remplis de remords et de chagrin. Nos cœurs battaient violemment, pleurant devant le Seigneur dans notre incompréhension de pourquoi une telle chose était arrivée."
Être témoin de ce crime atroce a laissé une profonde blessure émotionnelle à Ghosh, qui a souffert de dépression et de problème de confiance. Beaucoup de ses amis, y compris dans la communauté chrétienne, l’ont blâmé de ne pas être sorti pour sauver les Staines, bien qu’il n’ait eu aucun moyen de le faire.
Pendant les deux ans et demi du procès, certains avocats ont faussement accusé Ghosh et d’autres membres du ministère d’avoir tué Staines, puis d’avoir fait porter la responsabilité à la foule.
"Les trois ou quatre premiers mois étaient insupportables pour moi", raconte Ghosh.
"Voir quelqu’un mourir sous mes yeux, quelqu’un qui faisait le bien et qui a été traité ainsi, j’étais presque devenu fou. Je ne parlais plus aux gens."
Malgré son chagrin, Ghosh pense qu’il devait accepter ce qui s’était passé et pardonner aux tueurs. Il a continué à travailler à la mission contre la lèpre, et à témoigner dans des églises et des séminaires tout en partageant le témoignage de Staines.
"Je dois me réconcilier avec le fait que Jésus a traversé tout cela, alors qui suis-je pour ne pas l’accepter ?"explique-t-il.
"Même dans les moments difficiles, je dois accepter ces choses. Les Écritures disent que Dieu, en Christ, réconciliait le monde avec lui-même. Et nous sommes envoyés pour être des ambassadeurs de la réconciliation."
Après un congé en Australie, Gladys et sa fille Esther, âgée de 13 ans au moment du meurtre, sont revenues en Odisha, où Gladys a travaillé dans la clinique pour lépreux pendant encore cinq ans avant de retourner en Australie. Elle a déclaré aux médias indiens :
"J’ai pardonné aux meurtriers, mais la loi doit suivre son cours."
Pour son travail en Inde, Gladys a reçu plusieurs récompenses, dont le Mother Teresa Memorial Award for Social Justice et le Padma Shri for Social Service, la quatrième plus haute distinction civile en Inde.
"Si nous ne faisons pas l’expérience de la grâce de Dieu, nous devenons amers", nous déclarait-elle dans une interview de 2003.
"Il faut se tourner vers Dieu, pas vers les autres. Faites l’expérience du pardon et pardonnez aux autres. La grâce est disponible. Une fois que vous pardonnez, la guérison vient."
Gladys, aujourd’hui âgée de 74 ans, a visité l’Inde pour la dernière fois en décembre 2024 avec sa fille et ses petits-enfants.
Même après le départ des Staines, leur héritage a perduré. L’EMSM comprend désormais deux centres pour lépreux, un centre de réadaptation, un foyer pour garçons portant le nom des garçons Staines et l’hôpital Graham Staines Memorial. L’hôpital a été fondé en 2004 pour réaliser la vision de Staines : apporter des soins de santé aux populations marginalisées du Mayurbhanj. Bien que le taux de lèpre ait baissé au cours des dernières décennies, l’Odisha continue d’enregistrer plus de 500 nouveaux cas par mois.
Gosh rapporte que Manoharpur, le village reculé de l’est de l’Odisha où le meurtre a eu lieu, a vu croître le christianisme depuis cet événement. Le village compte désormais trois églises, et de nombreux habitants ont accepté le Christ.
"Ceux qui étaient venus attaquer cette nuit-là, ils étaient environ 52", raconte Ghosh.
"Parmi eux, beaucoup ont appris à connaître le Seigneur et ont rejoint l’Église."
Divya Chirayath
Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.