Cuba : dégel diplomatique, mais la liberté de culte au bûcher

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« ¿Que bola Cuba? » (Comment ça va, Cuba ?), écrivait en espagnol local le Président américain, Barack Obama, à son atterrissage à Cuba le 20 mars dernier... Les années passent, les relations internationales se normalisent pour Cuba, mais la situation des croyants des différentes religions ne s’améliore que peu, presque seulement au niveau de l’épiderme de leur statut dans l’île.

Les dirigeants étrangers sont accueillis, les papes sont reçus, l’ancien Président Fidel Castro, le Líder Máximo, se serait même rapproché de la foi chrétienne selon les dires de sa fille en 2012, mais les croyants ne sont pas réellement acceptés dans leur pays tenu d’une main de fer par Raul Castro, le frère de Fidel. Lorsque le Représentant spécial du Département d’État américain pour la religion et les questions internationales est rentré de Cuba en juillet dernier, il a loué la vie religieuse dans l’île considérée par lui comme « plurielle, diverse et vibrante ». Shaun Casey a rencontré un large éventail de représentants des différents cultes à Cuba dont il donne un inventaire détaillé :

« catholiques, évangéliques, presbytériens, mormons, juifs, musulmans, bouddhistes, pentecôtistes, témoins de Jéhovah, adeptes de la santeria et membres des églises de maison protestantes ».

Le haut-fonctionnaire assure que ces discussions ont permis au Département d’État de mieux comprendre la vie religieuse du pays, ainsi qu’elles lui ont permis d’apprécier l’amélioration du sort des croyants cubains, et il rapporte que les responsables religieux lui ont dit leur espoir que leurs communautés prospèrent dans la décennie à venir. Pourtant, peu avant la visite historique de Barack Obama à La Havane, les autorités cubaines ont accentué leur politique de répression qu’ils n’ont pas manqué de maintenir après sa visite et celle de Shaun Casey. En 2015, il y a eu dix fois plus de violations des droits des communautés chrétiennes qu’en 2014, 2 300 contre 220, rapporte l’ONG chrétienneChristian Solidarity Worldwide (CSW).

En septembre, Christian Today publiait un article relatif au pasteur Mario Felix Lleonart Barroso qui avait dû fuir sa patrie. Lleonart était responsable d’une église membre de la Convention baptiste occidentale, l’une des plus grandes communautés enregistrées à Cuba. Il a quitté l’île pour protéger sa famille et sa vie. A peine quelques heures avant la visite de Barack Obama, il a été arrêté, tandis que sa femme et leurs deux filles ont été placées en résidence surveillée, une procédure habituelle dans ce pays avant l’arrivée d’un chef d’État étranger vers qui les militants des droits de l’homme risqueraient de se tourner, comme les catholiques Dames en blanc arrêtées juste avant la visite du Pape Benoît XVI en mars 2012.

Peu avant l’atterrissage d’Obama, Lleonart avait remis au journal numérique cubain 14Ymedio une critique de l’organisation de la visite du Président américain. S’il est difficile de déterminer ce qui a justifié la réaction des autorités, la mise à l’écart d’un activiste ou celle d’un chrétien, les deux étant souvent confondus, il semble évident qu’il s’agissait d’empêcher un militant des droits de l’homme s’exprimer, entre autres sujets, sur la liberté religieuse qui le concerne au premier plan.

« C’était l’un de ces moments que l’on n’oublie jamais... Savoir que sa fille est en train de voir quelque chose comme cela est une expérience douloureuse. C’est difficile pour un esprit si jeune de comprendre qu’exprimer ses croyances et opinions peut mener à la prison », soupire Lleonart.

Et de mentionner à quoi expose le fait d’être chrétien : des menaces physiques ou des églises détruites notamment par le feu. Entre janvier 2016 et la visite du diplomate américain Shaun Casey, il y aurait eu 1606 atteintes à la liberté religieuse. En février, par exemple, une église protestante apostolique, nommée « Emanuel », et non enregistrée, avait été détruite et des centaines de fidèles arrêtés. Dans ce nombre, on décompte 1 400 Assemblées de Dieu - une communauté évangélique pentecôtiste - que les autorités avaient décidé de saisir dès 2015, avec le projet d’en détruire une centaine. Il arrive cependant que des lieux de culte confisqués soient rendus aux communautés lésées ; il y a deux ans, l’État a même autorisé la construction d’une église catholique pour la première fois depuis 1959 et la prise du pouvoir par Fidel Castro, les catholiques de Santiago de Cuba célébraient la messe dans la rue depuis que l’ouragan Sandy avait détruit leur lieu de culte en novembre 2012.

Et ne comptez pas sur le Bureau des affaires religieuses, une émanation du Parti communiste qui sert officiellement de médiateur entre les communautés religieuses et l’État... Les églises qui, contrairement à l’assemblée « Emanuel », se sont enregistrées ne sont pas sans tracas. Les communautés doivent se faire homologuer auprès du ministère de la Justice pour obtenir une reconnaissance officielle, mais elles ont besoin de l’autorisation du Bureau pour mener leurs activités. Les communautés qui ne sont pas admises  s’enregistrer ou ne l’ont pas demandé risquent une amende voire la destruction de leur lieu de culte.

Une tentative d’abus de confiance organisée par l’État

Lleonart prévient, il ne faut pas se fier au Bureau des affaires religieuses. Il a été créé avec le but affiché de faire le lien entre les communautés de croyants et les autorités, « mais si vous vivez à Cuba, vous savez que le Bureau n’est rien d’autre que le bras de l’État établi dans l’intention de supprimer les libertés religieuses et les droits des citoyens cubains. Ce n’est qu’une autre manière du Gouvernement d’avoir des yeux et des oreilles partout ».

Une histoire vécu par le pasteur dans son enfance se lit volontiers en gardant en mémoire l’actualité du Bureau des affaires religieuses. Lleonart se souvient que lorsqu’il était écolier, un représentant du Gouvernement avait rendu visite à sa classe et demandé qui était croyant. L’enfant innocent qu’il était avait levé la main avant de ressentir un certain malaise en constant que personne d’autre que lui ne l’avait fait.

« C’est l’une des premières fois de mon enfance que j’ai été confronté à la peur. Je savais que quoi que demandât cet homme, il le demandait pour une mauvaise raison », se rappelle Mario.

Après des décennies de persécution, le Bureau des affaires religieuses est l’arme de Cuba pour amadouer les croyants de différentes religions qui n’ont jamais cédé et sont considérés comme une concurrence pour l’État. D’un côté, le Gouvernement désigne des réseaux dans les villes et les communautés chargés de garder un œil sur les groupes de croyants non déclarés, et malheur à eux pour cette infraction à la loi ; de l’autre côté, les communautés qui décident de s’enregistrer, notamment pour échapper au risque de la sanction sont encore plus facilement contrôlables.

Un pouvoir aux tendances absolutistes craignant la dissidence et la concurrence

Le pasteur Lleonart a son idée sur les motivations du pouvoir :

« La raison pour laquelle le Gouvernement essaie parfois de réduire l’Église au silence ou fermer des bâtiments de culte, c’est parce qu’il s’inquiète que tant de gens se détournent de l’État pour Dieu (et l’Église), afin d’obtenir des réponses et trouver l’espoir. »

L’État peut récompenser des chrétiens, comme le secrétaire général de la Communion mondiale des églises réformées, Christopher Ferguson, récipiendaire de la Médaille de l’amitié remise le 14 mai 2016 par le Premier vice-président cubain Miguel Diaz-Canel, mais la reconnaissance est davantage relatif au soutien au régime qu’à la lutte pour la liberté religieuse ; Ferguson a été honoré pour son militantisme contre l’embargo américain.

D’ailleurs, dans ce pays désormais non plus officiellement athée mais laïc, l’article 54 de la Constitution de 1976 admet la liberté religieuse garantie par « l’État socialiste, qui fonde son activité et éduque le peuple dans la conception scientifique matérialiste de l’univers », mais ajoute une restriction : « Opposer la foi religieuse à la Révolution, à l’éducation ou à l’exécution de ses devoirs de travailler, défendre la patrie par les armes, respecter ses symboles et aux autres devoirs établis par la Constitution est illégal et punissable. » En somme, le slogan de Mussolini, « Tout dans l’État, rien contre l’État, rien en dehors de l’État », trouverait à s’appliquer parfaitement ici.

Il ne s’agit pas uniquement de contrôler la dissidence, la supposée concurrence à l’État est elle également dans le collimateur des autorités. Contestataires comme Lleonart, les Dames en blanc et autres activistes des droits de l’homme ou citoyens désireux de servir leur pays à côté de l’État, sans dissidence proclamée, sont traités en ennemis. Ce refus politique de ce qui est considéré comme une concurrence s’est par exemple exprimé en novembre 2012 lorsque l’organisation Pastores por el cambio (Pasteurs pour le changement), qui entendait se porter au secours des sinistrés après le passage de l’ouragan Sandy, dépêcha une vingtaine de personnes vers Santiago de Cuba, la ville la plus meurtrie du pays. La police arrêta les secouristes chrétiens et confisqua leur précieuse cargaison humanitaire.

Lleonart et tant d’autres qui ont été détenus peuvent toutefois se consoler, les autorités leur garantissaient le droit de suivre un service religieux quotidien en prison, une possibilité sans contrainte de calendrier dans la semaine accordée aux catholiques et évangéliques en septembre 2009 et dont peuvent bénéficier ceux actuellement ou à venir derrière les barreaux. Jusque là, les services se déroulaient à des dates prédéfinies et pas toutes les semaines. Désormais, très contrôlés, voire persécutés par l’État quand ils sont libres, les chrétiens peuvent ironiser sur la liberté de culte dont ils profiteraient en prison.

Hans-Søren Dag


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