Interview : Saïd Oujibou, Carlos Payan et Marie-Claire Buis en mission humanitaire et spirituelle à Beyrouth

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Les pasteurs Saïd Oujibou, Carlos Payan et Marie-Claire Buis sont partis en mission humanitaire et spirituelle à Beyrouth. Découvrez l’interview d’Info Chrétienne.

Le 4 août dernier, une double explosion ravageait le port de la capitale libanaise, Beyrouth. La semaine dernière, ce quartier était à nouveau la proie des flammes, meurtrissant davantage encore une population en pleine reconstruction. Saïd Oujibou, Carlos Payan et Marie-Claire Buis se sont rendus sur place au nom de l’association AIOEF Francophonie, organisation chrétienne qui oeuvre dans la francophonie, afin d’y mener une mission humanitaire et spirituelle.

Info Chrétienne a contacté ces trois pasteurs pour en savoir plus sur leur mission, mais aussi sur la réalité quotidienne des libanais de ce quartier détruit. Nous consacrerons une série d’articles à cette interview.

Lors de l’interview, Marie-Claire Buis commence par rappeler l’objectif de l’organisation AIOEF, qui est de « rassembler les forces » pour la francophonie et d’avoir « des gestes concrets, pas seulement sur le plan spirituel, mais aussi sur le plan pratique, actes concrets ». C’est dans ce cadre qu’elle est partie à Beyrouth, aux côtés de Saïd et Carlos.

Et les chiffres donnés par Saïd révèlent l’ampleur des dégâts.

« On va pas dire que c’est Hiroshima, mais dans le visuel, dans la tonalité, dans les décibels, c’est quasiment pareil. Le souffle s’est projeté à plus de 3 kilomètres. [...] On a sous-estimé les dégâts. [...] C’est plus de 82 000 appartements qui ont été dévastés. On a plus de 310 000 personnes. [...] C’est très dense Beyrouth. La plupart sont sur le bord de mer, malheureusement. Ça a touché 310 000 personnes. Ça c’est la réalité. »

Ces personnes habitent un quartier de Beyrouth composé à 85 % de chrétiens, selon Carlos Payan, qui note également la compassion des personnes à l’extérieur de ce quartier, qui ne sont pas touchées physiquement, mais qui sont « touchées par solidarité ».

« Il y a 300 000 personnes qui dorment dans la rue. Le Liban, c’est 2 millions de personnes. Mais tout le monde s’identifie à ces 300 000. »

Saïd tient à rappeler que cette double explosion a eu lieu dans un pays « déjà frappé par la dévaluation de la monnaie ». Il précise, « le kilo de viande représente un quart d’un salaire ».

« Il y avait déjà une triple peine. C’est-à-dire qu’il y avait la dévaluation de la monnaie à cause de la corruption qui malheureusement mine ce pays. Il y a le Covid qui est arrivé. Et le Covid n’a fait que fragiliser encore plus la population libanaise. La troisième chose, c’est que l’explosion les a mis à genoux. [...] Financièrement, matériellement, le peuple est vraiment désemparé. »

Saïd Oujibou décrit les « éboulements », les « vitres brisées » et précise que « la situation matérielle ne va pas se régler en quelques mois », concluant, « il y a un travail titanesque à faire ».

« Le Liban manque cruellement de matériel de reconstruction puisque les riches ont le moyen de reconstruire et ils le font vite. Mais nous étions hier sur le terrain, pour les plus fragilisés, on bricole. On leur met des portes, on leur met des vieilles fenêtres. C’est très difficile. Je pense que pour que le pays soit complètement reconstruit, il faudra à peu près au moins 2, 3 ans. »

Marie-Claire Buis confirme, « le travail est énorme ».

« Moi ce qui m’a touché, c’est de voir à quel point les immeubles ont été littéralement défoncés de haut en bas. Il n’y a plus rien. Tout a été soufflé. Mais c’est rien de le voir à la télévision. Quand on le voit sur place, ça nous prend aux tripes. Et c’est là qu’on a envie de pleurer avec la population, parce que c’est terrible. »

Marie-Claire se souvient de cette cage d’escalier sombre dans laquelle elle se trouvait. Elle a été frappée par les tâches de sang au sol.

« C’est terrible de voir ça. Dans ma tête, j’entendais quasiment les cris de personnes qui devaient être là. »

Elle se dit également très touchée par les personnes âgées, démunies de tout.

« Elles ont rassemblé toutes leurs petites affaires dans des sachets qu’elles ont accumulé dans tous les coins de la maison. »

Carlos précise alors :

« Ils mettent à l’abri du verre et de la poussière tout ce qui a de l’importance pour eux. C’est la seule protection qu’ils ont pour leurs affaires. »

Lui dit tenir à chercher « le regard des gens » au lieu de regarder les bâtiments éventrés.

« Quand vous avez une belle maison, vous faites rentrer quelqu’un, vous faites visiter toutes les pièces. Il y a quelque part en vous une fierté qui s’exprime. Alors là, elle est inversement proportionnée. C’est l’inverse. On vous montre tout ce qui est détruit. Je regarde tout ce qui est détruit. Et après je cherche à croiser son regard pour voir ce qui est détruit en elle. [...] Et alors vous n’avez plus le même discours. Vous avez le discours d’une souffrance cachée. C’est plus facile pour eux de dire, ‘j’ai besoin d’une fenêtre, d’une porte’ que de dire qu’ils sont déstabilisés, touchés. »

Il raconte ensuite que cette explosion « a ravivé tous les anciens souvenirs » de la guerre. Les personnes âgées « accumulent les traumatismes ».

« Notre mission est aussi spirituelle. Elle n’est pas que humanitaire. C’est pour nous indissociable. »

Et malgré ça, Marie-Claire précise, « la vie continue », notamment avec l’aide d’associations, qui sont là, dans le quartier et attendent le « défilé » des personnes dans le besoin.

« Il y a cette dimension de résilience qui est là, que j’ai trouvé très forte parmi ce peuple. Leur but c’est, ‘il faut reconstruire’. Avec les moyens qu’ils ont. Sur le tas. »

Et la reconstruction se fait dans un contexte difficile. Saïd explique le quotidien de ces familles :

« Le quotidien des familles, c’est la poussière, c’est le bruit, c’est les travaux, c’est la pollution, puisqu’il y a eu un malheureux incendie auquel nous avons assisté. C’est de ranger tout leur appartement et d’essayer de pouvoir vire. Moi, je suis resté deux heures et j’ai pas tenu deux heures. Très honnêtement, je suffoquais. Nous étions dans un appartement avec un couple de personnes âgées. Comment ils vivent là-dedans ? C’est insalubre. Je me dis, ces gens-là vont mourir, ils ne vont pas tenir. Le quotidien que j’ai vu, c’est l’urgence. »

Pour répondre à cette urgence, et au nom de l’organisation AIOEF, Marie-Claire, Saïd et Carlos sont actuellement à Beyrouth

Pour en savoir plus sur cette mission humanitaire et spirituelle, découvrez demain notre second article.

M.C.

Pour en savoir plus sur ce sujet :

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