La capture et le stockage du carbone, comment ça marche ?

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Le développement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique sont deux piliers essentiels des efforts d’atténuation des changements climatiques.

Mais, au regard de l’ampleur de la réduction des émissions à réaliser, les experts de l’Agence Internationale de l’Énergie(AIE) et du GIEC considèrent que le recours aux technologies de captage, de stockage et de valorisation du CO2 est indispensable pour atteindre l’objectif de neutralité carbone.

Le procédé DMX de captage du CO2, fruit d’une décennie de recherche dans les laboratoires d’IFP Énergies nouvelles, est ainsi aujourd’hui en cours de démonstration sur le site d’Arcelor Mittal à Dunkerque, géant de l’acier qui émet de plus de 11 millions de tonnes de CO2 chaque année.

Le CO2 capté pourrait être transporté puis stocké en mer du Nord, par exemple sur le site du projet norvégien Northern Lights, qui a également signé en août dernier son premier accord commercial pour le transport et le stockage du CO2, cette fois capté sur une usine d’ammoniac et d’engrais des Pays-Bas.

L’objectif du captage, stockage ou valorisation du dioxyde de carbone (plus connus sous les acronymes CCS ou CCU pour carbon capture and storage ou carbon capture and utilisation) est de contribuer à décarboner l’industrie : il s’agit d’un ensemble de technologies permettant de capter et de stocker et/ou d’utiliser le CO2 plutôt que de le laisser s’échapper dans l’atmosphère. En effet, l’industrie lourde est à l’origine de presque 20 % des émissions mondiales de CO2 aujourd’hui. En France, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) fixe une réduction des émissions industrielles de 80 % d’ici 2050 par rapport à 2015.

Dans le scénario « développement durable » de l’AIE, ces technologies de captage contribueraient à hauteur de 15 % à la réduction cumulée des émissions de CO₂ en 2070.

Comment ? En séparant le CO2 des fumées industrielles, pour le stocker dans des formations géologiques souterraines à grande profondeur et l’isoler ainsi de l’atmosphère, ou pour l’utiliser comme une ressource dans la production de biocarburants ou d’engrais par exemple.

Une trentaine d’installations à grande échelle sont actuellement en opération à travers le monde pour décarboner la production d’électricité (centrale charbon, centrale gaz) et l’industrie (aciérie, cimenterie, chimie) et 35 à 40 millions de tonnes sont ainsi captées et stockées annuellement, à comparer aux 34 milliards de tonnes de CO2 qui ont été émises en 2020. On estime qu’il faudrait en capter et stocker 50, voire 100, fois plus d’ici 2035 pour répondre aux objectifs de neutralité carbone – ce qui appelle au déploiement du CCUS à grande échelle, en Europe et dans le monde. Compte tenu de la maturité actuelle des technologies, c’est envisageable à l’horizon 2030.

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Première étape de la chaîne : le captage

Les technologies de captage sont opérationnelles depuis des décennies, notamment pour certaines applications comme les centrales thermiques, mais elles sont encore coûteuses. De nouveaux procédés moins énergivores et plus performants sont ainsi éprouvés au sein des premiers démonstrateurs comme celui de Dunkerque. Aujourd’hui, il s’agit aussi d’intégrer ces procédés à une filière dédiée.

On distingue trois grandes familles de procédés. La première, le captage en « post-combustion », consiste à extraire le CO2 des fumées industrielles de combustion de ressources fossiles (bois, gaz naturel, pétrole et charbon) à l’aide d’un solvant qui présente une affinité pour les molécules de CO2. Positionnée en aval des processus industriels, cette technologie peut être mise en œuvre sur des installations préexistantes et appliquée au traitement des fumées d’industries diverses. Si le taux de captage dépasse les 90 % du CO₂ émis, elle s’accompagne néanmoins d’une forte « pénalité énergétique » requise lors de la séparation du CO2 du solvant, ce qui entraîne un coût de mise en œuvre élevé, soit entre 10 et 100 € par tonne de CO2 évité (et donc non émis).

La seconde famille, dite de captage en « oxy-combustion », consiste à réaliser une combustion en présence d’oxygène (presque) pur, plutôt qu’à l’air. Le gaz de combustion ainsi produit est constitué presque exclusivement de vapeur d’eau et de CO2. Il est alors beaucoup plus simple d’extraire le CO2 que lorsqu’il est dilué dans l’azote de l’air. Cette technologie présente ainsi une pénalité énergétique plus faible mais nécessite un rétrofit de la chambre de combustion. Elle est donc envisagée pour certaines applications, comme les cimenteries, et pour de nouvelles unités de conversion des combustibles biomasse et fossiles.

La troisième famille enfin, dite de captage en « précombustion », consiste à extraire le CO2 en amont de la combustion en transformant le combustible initial en un « gaz de synthèse » : il s’agit de gazéifier le combustible pour obtenir un mélange de CO + H20, puis d’opérer une transformation chimique pour obtenir un mélange CO2 + H2 et enfin d’extraire du CO2 par solvant. La mise en œuvre de ce procédé nécessite d’être intégrée en amont, au moment de la construction de l’unité industrielle.

Ce procédé permet de capturer le CO2 au niveau d’installations industrielles, mais aussi de retirer du CO₂ présent l’atmosphère comme sur le site d’Orca en Islande (qui devrait capter environ 4000 tonnes par an).

Comment transporter du CO₂ et le stocker ?

Plus en aval de la chaîne, le CO2 se transporte au même titre que le gaz naturel, par gazoducs, train ou bateau, en fonction de la quantité de CO2 à transporter et de la distance. Les infrastructures de transport et de stockage ne posent donc pas de problème technique particulier, mais il faut les sécuriser et assurer leur maintenance, comme l’exige tout équipement industriel.

Ensuite, le CO2 capté est stocké dans d’anciens gisements d’hydrocarbures ou des roches poreuses (aquifères salins profonds). Le CO2 est injecté sous forme dense à une profondeur d’au moins 800 mètres. Il est alors piégé par des mécanismes chimiques et géologiques : dissolution dans la saumure (eau salée) présente dans les roches, immobilisation dans les pores des roches, puis, à terme, minéralisation.

Les capacités de stockage souterrain en Europe sont grossièrement estimées à 300 milliards de tonnes, soit l’équivalent de 100 ans d’émissions mondiales en 2019, mais il faut encore confirmer ces capacités et l’intégrité des sites pour que les projets opérationnels de stockage du CO2, comme celui de NorthernLights, puissent voir le jour.

Les sites de stockage font l’objet d’une sélection rigoureuse afin de garantir la pérennité et la sécurité du stockage sur le long terme (migration du CO2 hors du site de stockage). Les opérations de stockage s’accompagnent d’un protocole de surveillance qui intègre, entre autres, un suivi géophysique du comportement du CO2 dans le sous-sol, des mesures de gaz et des prélèvements en profondeur dans le sous-sol et en surface, une surveillance des événements microsismiques, etc.

Quels modèles économiques pour le déploiement de ces technologies ?

Le bénéfice du déploiement de ces filières est essentiellement lié à la réduction des émissions de CO2, à laquelle les marchés du carbone par exemple (systèmes de quotas d’émission) donnent une valeur économique : le captage, le transport et le stockage ou la valorisation ne sont pas des technologies indépendantes les unes des autres, mais les maillons d’une même chaîne de valeur.

C’est pourquoi le déploiement de la filière doit être coordonné dans le temps et sur un territoire volontaire au moyen d’investissements dans des projets opérationnels mutualisés à l’échelle de la France et de l’Europe. Le déploiement de « hubs CO2 » – des réseaux collectant le CO2 émis par différentes industries et mutualisant les infrastructures de transport et de stockage – s’anticipe. C’est le cas par exemple des Hauts-de-France et Normandie qui travaillent au développement d’un hub pour le captage et le transport du CO2 et du projet Northern Lights qui œuvre pour sa part à un projet commercial de transport et de stockage du CO2.

Élaborés dans le cadre de projets de recherche européens tels que Strategy CCUS sur la base de facteurs techniques (volumes de CO2 impliqués, zones géographiques concernées, usages possibles du CO2 à proximité des lieux de capture, lieux de stockage possibles) et environnementaux (via les méthodologies d’analyse de cycle de vie), les scénarios prennent aussi en compte des facteurs économiques et sociaux, tels que la création d’emploi et les préoccupations des communautés locales, qu’il est impératif d’associer au plus tôt à la construction d’un projet.

L’enjeu est aujourd’hui de créer les conditions pour permettre le déploiement de la filière du CCUS à grande échelle dès 2030. Si les technologies sont là, des mécanismes de soutien financier et un cadre réglementaire sont nécessaires pour accélérer la mise en place de la filière. En l’état actuel des estimations, le prix du quota de carbone émis est encore inférieur aux dépenses que les industriels devraient engager pour investir dans ces installations, soit entre 50 et 180 € par tonne de CO2 évité.

Florence Delprat-Jannaud, Responsable de programme Captage et stockage du CO2, IFP Énergies nouvelles

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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