Les chrétiens égyptiens et al-Sissi dans la tourmente après l’attentat

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Le dernier attentat au Caire, le dimanche 11 décembre, contre les fidèles coptes rassemblés dans l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul, a fait 25 morts et 49 blessés. Le Président Abdel Fattah al-Sissi, qui a toujours fait montre d’une bienveillance certaine envers les chrétiens, a décrété trois jours de deuil national et promis de tout faire pour venger les victimes. Il y a urgence pour lui sur le plan politique également, cet attentat pourrait lui faire perdre le soutien de nombreux chrétiens, la frustration étant de plus en plus grande, alors que, par ailleurs, le raïs est contesté pour son autoritarisme et l’état économique de l’Egypte.

La souffrance ressentie en ce moment par les Egyptiens ne sera pas vaine, mais engendrera une décision sans compromis de traquer et traduire en justice quiconque a permis ce crime haineux, que ce soit en y incitant, en le favorisant ou en l’exécutant », a déclaré le Président Sissi le jour de l’attentat. Une volonté affichée qui n’emporte cependant pas l’adhésion, des chrétiens osant même demander la chute du régime après avoir porté le maréchal Sissi aux nues, lui qui avait délivré l’Egypte des Frères musulmans. Des journalistes partisans du pouvoir ont été pris à partie par les chrétiens à leur arrivée sur les lieux de l’attentat.

Pour Philip Luther, directeur de la recherche et du plaidoyer pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord auprès d’Amnesty International, « les autorités égyptiennes doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir afin que l’enquête qu’elles ont annoncée après l’attaque d’aujourd’hui soit efficace, indépendante et impartiale et traduise en justice les responsables. Elles doivent envoyer le message que les attaques ciblant les minorités religieuses ne seront pas tolérées. » Sur son compte Twitter, l’activiste des droits de l’homme écrivait le même jour :

« Les autorités égyptiennes annoncent une enquête, mais elles doivent se pencher sur leur échec systémique dans la réponse aux violences passées contre les Coptes pour être crédibles. »

Cette exigence de révision du système était pourtant l’une des volontés d’Abdel Fattah al-Sissi qui avait prononcé un discours devant la plus grande université islamique du monde sunnite, Al-Azhar, pour demander une relecture pacifiste de l’islam afin de l’expurger des éléments de violence qui se sont agrégés au fil des siècles. Devant l’échec de ses tentatives pour obtenir qu’Al-Azhar distingue la foi de l’idéologie, le Président a altéré son propos dès ce printemps, parlant non plus de « révolution religieuse », mais de « rectification » du discours religieux, espérant obtenir un minimum de concessions, sans lequel la violence islamiste continuera à être prêchée dans nombre de mosquées du pays. Or, le système égyptien est étroitement lié à la religion du fait de la forte pratique cultuelle, ce qui a pour conséquence que, même si le pouvoir veut protéger les minorités, la volonté n’est pas toujours relayée sur le terrain. Et la crédibilité du pouvoir risque d’être également atteinte au niveau de l’enquête quant à l’attentat de dimanche dernier.

Jeter le discrédit sur l’enquête pour faire chuter le Gouvernement ?

Alors que le ministère de l’Intérieur a rapidement accusé les Frères musulmans et annoncé l’arrestation de quatre individus, trois hommes et une femme ainsi que la traque de deux autres suspects, en accusant les Frères musulmans, l’Etat islamique a revendiqué l’attentat et donné une autre identité du kamikaze que celle fournie par les autorités. A l’occasion des funérailles, Sissi avait identifiée la bombe humaine comme étant Mahmoud Chafik Mohamed Mostafa, en assurant que des tests avaient permis de le reconnaître ; l’Etat islamique assure qu’il s’appelle Abou Abdallah. Que les résultats de l’enquête génétique soit réels ou non, la contestation apportée par le groupe Daech ne peut que jeter le doute sur la crédibilité des investigations. Et c’est peut-être le but recherché, afin de précipiter la chute d’un régime déjà décrié pour son autoritarisme et la mauvaise gestion économique, et qui perdrait jusqu’au soutien des chrétiens. En Espagne, le Parti populaire, grand favori des élections législatives avait perdu en 2004 après que l’on avait découvert le mensonge du Gouvernement suite à l’attentat dans un train à Madrid ; les autorités avaient choisi d’accuser l’ETA alors que le crime avait été commis par des islamistes.

Depuis plusieurs mois, les Coptes sont de plus en plus agacés par la présidence d’al-Sissi, un mécontentement qui s’était déjà cristallisé autour de la loi sur la construction d’églises, pas assez ambitieuse pour eux. Des ecclésiastiques avaient cependant volé au secours du Président pour rassurer les chrétiens qui, lassés, ne voyaient pas forcément la complexité de la situation pour un Sissi qui doit composer avec prudence. Ainsi, Mgr Kyrillos William, évêque copte-catholique d’Assiout, en Haute-Egypte, avait tenu à réaffirmer sa confiance dans le raïs :

« Il y a de la corruption dans tous les ministères… on découvre tous les jours des scandales. Le président Al-Sissi, qui est très loyal, est entouré d’hommes de l’ancien régime: il doit souvent nager à contre-courant ! L’unité du peuple égyptien lui tient à cœur. Il affirme haut et fort que tous sont égaux. Les chrétiens voient un grand changement. Le président n’a pas peur d’être critiqué pour cette raison par les intégristes musulmans ! »

Al-Sissi ne parvient pas à empêcher totalement la violence contre les chrétiens, et les forces de sécurité sont elles-mêmes souvent attaquées par les islamistes. Le Président ne fait souvent qu’y répondre, à défaut de pouvoir la prévenir, que ce soit sur le sol égyptien ou à l’extérieur. En mai, une foule de 300 musulmans avait attaqué les habitations des chrétiens dans l’Egypte méridionale, et Sissi avait exigé que les autorités rendissent justice aux chrétiens et que leurs biens fussent rétablis aux frais de l’Etat dans le délai d’un mois. Son action la plus marquante fut le bombardement de positions de l’Etat islamique en Libye après que ce dernier eut décapité 21 Coptes dont 20 Egyptiens, et le Président avait décidé d’attribuer une rente à vie aux familles de ces chrétiens partis gagner de quoi les nourrir en Libye, ainsi que de faire ériger une église pour leur rendre hommage.

Lors des funérailles des victimes du dernier attentat contre les chrétiens, le Président Sissi s’est rendu avec plusieurs membres du Gouvernement auprès des victimes, ils ont marché aux côtés des cercueils, alors que même sous le Président Moubarak, qui n’était pas hostile aux chrétiens, de telles épreuves ne voyaient les autorités se déplacer en nombre. Pour Viktor, Professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, les auteurs de l’attentat voulaient punir les chrétiens pour leur soutien au Président Sissi.

Hans-Søren Dag


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