Pilosité, graisse… hibernation ? Toutes les techniques de notre corps pour résister au froid

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L’hiver finit toujours par venir… Et cette année, du fait de la crise énergétique, nos intérieurs se cantonneront à un raisonnable 19 degrés Celsius. Le déballage des pulls épais, chaussettes moelleuses et autres gants a donc commencé… Car avoir froid est désagréable – mais c’est là le moindre de ses défauts.

Le froid est surtout une véritable menace pour notre corps. Nos organes vitaux ont besoin d’une température de 36,8 °C (précisément) pour fonctionner de façon optimale. Une ambiance trop fraîche et ils risquent tout simplement de s’arrêter. Une étude menée dans 18 villes françaises entre 2000 et 2010 a montré que le nombre de décès dus au froid était trois fois supérieur à celui dû à la chaleur.

Notre espèce n’est toutefois pas entièrement pas démunie contre les frimas. Quelles sont ses stratégies face aux températures glacées ? Et pourquoi n’hibernons-nous pas pour passer l’hiver comme le font d’autres mammifères ?

La technique de la chaudière interne

Mammifères et oiseaux sont des endothermes, c’est-à-dire des créatures « à sang chaud ». La température corporelle moyenne des premiers se situe entre 36 et 39,5 °C, tandis que chez les seconds elle peut atteindre 42 degrés. Des particularités qui sont le fruit d’une longue évolution.

Il y a quelque 200 millions d’années, les animaux qui ont survécu à l’extinction massive dévastatrice dite du Permien-Trias ont dû se réadapter à un nouvel environnement compétitif. À l’époque, les puissants dinosaures régnaient encore sur la planète Terre. Eux dépendaient principalement de l’énergie thermique du soleil pour être actifs. Mais peu à peu, des espèces sont apparues qui ont adopté de nouvelles stratégies de survie.

Brasilitherium riograndensis, un des premiers animaux ayant vécu à la fin du Trias et présentant des caractéristiques de mammifères.
Smokeybjb, from Wikimedia

Les premiers mammifères n’étaient rien de plus que de petits quadrupèdes (tétrapodes) à fourrure vivant dans l’ombre des reptiles géants. Littéralement. Leurs chances de survie étaient bien meilleures s’ils optaient pour la chasse nocturne. En l’absence d’une source de chaleur externe, des mécanismes permettant de générer une chaleur corporelle propre, capable d’alimenter leur métabolisme en continu, ont été sélectionnés et se sont développés. Une stratégie également profitable dans le climat instable de l’époque.

Mais l’endothermie a un revers : pour alimenter la chaudière, il faut du carburant et, comme on s’en rend compte actuellement, cela a un coût. Pour répondre à cette demande, un large éventail d’adaptations efficaces et économes en énergie a vu le jour sous l’effet de la sélection naturelle. Elles peuvent entrer dans deux catégories principales : mieux stocker et utiliser l’énergie, et mieux isoler pour éviter les pertes de chaleur indésirables.

Le gras (et la pilosité), c’est la vie

Nous disposons déjà d’une arme toujours à portée de main : la graisse ! Elle sert à la fois d’isolant (du fait de sa faible conductivité thermique) et de ressource énergétique. Les mammifères qui survivent dans les régions froides ou les mers proches de l’Arctique possèdent un tissu spécial semblable à de la graisse appelé lard ou pannicule. Il mesure 10 cm sous la peau de l’ours polaire et peut atteindre les 50 cm chez la baleine boréale !

Les baleines boréales (Balaena mysticetus) ont, sous la peau, un tissu semblable à de la graisse appelé lard, dont l’épaisseur peut atteindre un demi-mètre. Il est primordial pour réduire la perte de chaleur dans les eaux glacées de l’Arctique.
Bering Land Bridge National Preserve/Flickr

De nombreux petits mammifères, y compris les nouveau-nés humains, possèdent un autre type de graisse, appelée « graisse brune ». Sa particularité est qu’elle est capable de brûler des lipides pour générer de la chaleur (grâce aux mitochondries qu’elle contient) afin de maintenir la température corporelle. Ceci est particulièrement important chez les bébés, en raison de leur petite taille et de leur manque de puissance musculaire pour convertir le mouvement en énergie.

Mais nous sommes également équipés, un peu à notre insu, de millions de capteurs ultrasensibles à la température ambiante intégrés à notre peau. Le moindre risque détecté que la température corporelle s’écarte de son optimum déclenche aussitôt une alarme dans l’hypothalamus, la région du cerveau où réside le contrôle de la température. Les réflexes qui génèrent plus de chaleur et réduisent la perte de chaleur sont activés – souvent de manière involontaire. En gros, notre corps prend le contrôle pour nous sauver la vie !

L’anatomie d’un poil. Attaché à la racine, il y a un petit muscle qui peut le redresser lorsqu’il fait froid.
OpenStax College, from Wikimedia

Les mammifères possèdent une structure unique dans tout le règne animal et infiniment précieuse : le… poil ! Lorsqu’il fait froid, un petit muscle attaché à sa racine le tire vers le haut (la « piloérection »). Telle une armée, des milliers de poils se redressent alors et bloquent ensemble le flux d’air pour créer une couche isolante. Un phénomène trivialement appelé « chair de poule ». Ce qui ne rend guère hommage à ce réflexe ancestral, également contrôlé par des régions primitives de notre cerveau traitant des émotions et du danger. Ce qui explique qu’il s’active aussi lorsque nous sommes pris par une scène de film particulièrement forte… ou lorsque des chats entendent montrer qu’ils sont prêts à se battre.

À ce petit jeu, tous les animaux ne sont pas égaux. Plus le corps est petit, plus le rapport surface/volume est élevé, et plus la perte de chaleur est rapide. C’est la raison de cet adorable petit duvet qui recouvre nombre de petits mammifères nouveau-nés : il faut, à tout prix, limiter les pertes d’énergie.

Autre technique : le frisson, soit la contraction involontaire des muscles pour générer de la chaleur par le mouvement. Le frisson permet de multiplier par cinq environ le taux métabolique. Pour cela, les muscles brûlent des graisses, des protéines et des sucres à disposition, le « charbon » des usines énergétiques de nos cellules (les mitochondries).

L’objectif est, quoi qu’il en coûte, de protéger les organes vitaux – cœur, cerveau… En cas de froid extrême, le flux de sang chaud vers les mains et les pieds peut être coupé et redirigé vers ces derniers. D’où des doigts et des lèvres bleuâtres, des engourdissements et une peau blanche de mauvais augure.

Perte de chaleur corporelle par temps froid visualisée par une caméra thermique.

Et l’hibernation alors ?

Pour s’éviter ces risques et désagréments, certains optent pour la fuite. Les oiseaux migrateurs, des mammifères tels les rennes et les élans quittent temporairement des zones devenues trop froides et inhospitalières. Mais tout le monde ne peut pas parcourir de telles distances, parfois à l’échelle de continents entiers. Dans des conditions hivernales difficiles et en cas de manque de ressources, d’autres choisissent donc de réduire temporairement leur métabolisme.

Cette capacité est très répandue et se retrouve chez de nombreux ordres de mammifères, preuve qu’il s’agit d’une stratégie de survie efficace. Mais selon le gabarit de l’animal, le curseur est plus ou moins poussé.

La marmotte commune (Marmota monax) est un mammifère capable d’hiberner.
Flickr.com/photos/pavdw

Marmottes, hérissons… ne font ainsi pas dans la demi-mesure et entrent en hibernation. Le phénomène est frappant et se caractérise par un arrêt presque complet des fonctions vitales de l’organisme et une véritable léthargie (leur métabolisme peut chuter de près de 98 %). Chez la marmotte, par exemple, le cœur ne bat alors plus que cinq fois par minute – contre 80 en condition normale – et la température peut descendre jusqu’à 5 °C… De quoi donner des frissons ! La technique n’est pas sans risque, certains animaux n’ayant plus, au réveil, assez d’énergie pour relancer leur organisme.

Après 7 mois d’hibernation, les marmottes de l’île de Vancouver (Marmota vancouverensis) ont perdu un tiers de leur poids corporel.

Chez l’ours, d’un autre côté, s’il y a bien une torpeur qui s’installe, elle est moins profonde (son métabolisme est réduit jusqu’à 75 %) et est discontinue – on parle alors plutôt d’hivernation. L’animal se met à l’abri, mais sa température ne chute pas autant et il reste capable de se réveiller.

Et notre espèce ? Bien que les gènes qui sous-tendent cette capacité soient probablement encore présents en nous, nous n’en est plus vraiment capable et la raison n’en est pas très claire… La question a été soulevée pour notre cousin néandertalien disparu. En 2020, une étude suggérait que, pour passer les longs mois de froid dans un environnement avare en calories, les os d’une population du sud de l’Espagne auraient montré des signes de ralentissement de son métabolisme.

Il faut reconnaître que, de façon générale, la physiologie de l’hibernation est encore mal comprise. Les mammifères semblent obligés de se réveiller de temps en temps, mais nous ne savons pas pourquoi. Des études ont montré que l’hibernation est différente du coma, de l’anesthésie et du sommeil classique – le cerveau est dans une sorte de sommeil profond mal défini. Même si le cerveau semble être en veille, certaines populations de cellules nerveuses sont toujours actives et peuvent répondre à certains stimuli.

Quant aux mécanismes qui permettent à l’animal d’entrer dans cette phase et d’en sortir, ils sont également méconnus. Si bien que même si on arrivait un jour à mettre des humains en hibernation (dite artificielle ou synthétique), combien de temps avant de les réveiller ? Et… comment ?

Les applications pourraient toutefois fois être nombreuses. Certains pensent au voyage spatial. Si nous devons un jour aller sur Mars, un état d’hibernation pourrait considérablement réduire les besoins en énergie et donc en nourriture pendant le voyage – et le temps d’attente… Plus inattendu, des tests sur animaux ont montré qu’elle pouvait protéger en partie le corps des effets nocifs des radiations spatiales.

La médecine serait également intéressée. Être capable de réduire le métabolisme de patients dont la vie est menacée (en cas de cancer avancé, etc.) pourrait prolonger la période pendant laquelle il est possible de lutter contre la maladie.

Une adaptation au fil des générations…

Aujourd’hui, nous avons appris à gérer le froid d’une autre manière : Nous portons des vêtements, construisons des maisons que nous chauffons, etc. Au cours des millénaires, nous avons même perdu la plupart de nos précieux poils, ce qui nous vaut le surnom de « singe nu ».

Outre les vêtements de protection, les Inuits vivant dans les régions froides ont une petite taille, de petites mains et un visage plutôt plat avec des coussinets graisseux typiques au niveau des sinus.
Ansgar Walk, Wikimedia

Et sous les latitudes moins clémentes, notre espèce a vu être sélectionné, sur un temps long, des traits octroyant une meilleure résistance au froid. C’est le cas chez les populations qui vivent dans des climats froids, comme la Sibérie ou l’Himalaya. Ils ont souvent des bras et des jambes courts, un physique plus ramassé et plus de graisse corporelle (pour mieux garder leur chaleur interne), des visages plats avec des coussinets de graisse protecteurs au niveau des sinus et des nez plats (plus pertinents dans un air glacé). En outre, des versions spécifiques de certains gènes, liés à un métabolisme plus élevé ou à une pression artérielle accrue, se retrouvent plus fréquemment chez ces peuples du Grand Nord.

Soit le même type d’adaptations que montraient les puissants Néandertaliens pour résister aux climats froids de l’Europe au Paléolithique.

Cependant, ne le nions pas : pour se prémunir du froid et de ses dangers, avoir la chance de s’emmitoufler dans des vêtements chauds en buvant un chocolat chaud autour d’un bon feu est une très bonne option. Mieux, en migrateurs d’un genre nouveau, nous avons aujourd’hui le luxe de prendre l’avion pour des endroits plus chauds quand nous le voulons.

Mais tout le monde n’a pas ces possibilités… N’oubliez donc jamais d’accorder une attention particulière aux plus vulnérables au froid, sans-abri, personnes âgées ou tout-petits… vous pourriez sauver des vies.

Pieter Vancamp, Post-doctorant, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : Shutterstock/ Andrei Stepanov

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