Argentine : Javier Milei, le nouveau président soutenu par les évangéliques

Javier Milei, le président élu argentin également soutenu par les évangéliques, critiqué par les organisations évangéliques

Une chevelure indomptée, un langage peu châtié qui s’est traduit par une flopée d’insultes adressées au pape, le vainqueur de la présidentielle argentine, Javier Milei, détonne.

Si cet admirateur de Donald Trump se dit pro-israélien et affiche son opposition à l’avortement, il semble que les évangéliques de ce pays miné par l’inflation aient surtout été sensibles à ses promesses de prospérité.

Avec moins de deux ans d’expérience politique, Milei est un économiste que les Argentins ont découvert en 2014 comme chroniqueur économique sur les plateaux de télévision.

Dès lors, sa notoriété n’a cessé de croître, notamment à cause de son franc-parler et des "p…n" qui émaillent ses discours. Veste en cuir témoignant de son refus d’être policé, il détonne dans le milieu politique argentin. Sa campagne présentait des vidéos catastrophistes d’explosions nucléaires ou d’effondrements d’immeubles.

La qualification de Milei pour le second tour de la présidentielle le 22 octobre n’a pas vraiment surpris, le candidat antisystème était arrivé en tête de la primaire présidentielle deux mois auparavant, remportant davantage de voix que celles cumulées des candidats des deux partis traditionnels.

Arrivé deuxième au premier tour, avec 29,99 % des voix contre 36,78 % pour son rival Sergio Massa, le ministre de l’Économie, il a bénéficié pour le second tour du soutien de la candidate malheureuse Patricia Bullrich. Sa victoire est très large avec 55,69 % des votes.

Présenté comme un "Trump de la pampa", malgré les grandes différences de style et de programme entre lui et l'ancien président américain qui s'est réjoui de sa victoire, l'élu 'anti-caste" se décrit comme un lion et n’hésite pas à monter sur scène avec une tronçonneuse afin de marquer visuellement sa volonté de réduire les dépenses de l’État.

Celui qui entrera en fonction le 10 décembre est un libertarien partisan de l’économie libérale qui se décrit comme anarcho-capitaliste et qui entend dollariser l’économie argentine.

Le soutien des évangéliques fortement motivé par les promesses économiques

Dans ce pays avec un indice de perception de la corruption de 62 sur 100, qui ne sort pas du marasme financier, avec une inflation à 143 %, les évangéliques semblent avoir été autant que les autres sensibles au programme économique du candidat libertarien.

Les églises évangéliques se développent rapidement dans le pays, on en trouvait 5 000 il y a quatre ans dans la seule capitale de trois millions d’habitants, Buenos Aires.

Elles sont très impliquées dans les activités sociales et le gouvernement leur avait demandé de distribuer de la nourriture dans les districts les plus pauvres de Buenos Aires en 2018.

La situation économique et le fort engagement social des églises peuvent expliquer que les évangéliques ne semblent pas avoir soutenu Milei avant tout pour sa promesse d’organiser un référendum sur l’avortement, même si le sujet a pu compter.

L’Argentine a décriminalisé l’avortement en 2020 et le président élu souhaite mobiliser les électeurs pour l’interdire à nouveau. À l’époque, catholiques et évangéliques avaient manifesté ensemble contre le changement de loi.

Dans un entretien accordé au journaliste Alejandro Fantino en août dernier, Milei avait demandé :

"Je suis contre [le droit à l’avortement], car cela va à l’encontre du droit à la vie. Comment est-il possible que tuer un autre être humain soit un droit acquis ?"

Alicia Ramos, 29 ans et évangélique, fait partie des électeurs qui ont choisi le candidat libertarien pour ses positions économiques. Elle l’a soutenu "lorsqu’il a commencé à parler de dollarisation et d’inflation et, surtout, que le pays allait devenir un pays libéral".

La jeune femme apprécie également les valeurs morales de Milei qui s’oppose aux lois sur les questions de genre et l’avortement et elle affirmait entre les deux tours que nombreuses étaient les personnes de son église à voter pour lui en raison de son rejet de l’avortement.

Cependant, Christianity Today n’a pas constaté que l’avortement était un point important du vote évangélique en faveur de Milej. Aucun des autres électeurs que le magazine a interrogé n’a mentionné l’avortement.

Il semble que, comme le reste de leurs compatriotes, les évangéliques se soient surtout concentrés sur l’élection du candidat qui, selon eux, est le plus à même de redresser l’économie, réduire la corruption et s’en prendre à l’élite dirigeante.

Si les fidèles évangéliques semblent avoir été autant séduits que les autres par le discours de Milei, les principales organisations de cette branche du protestantisme ont vivement critiqué ses propositions.

Ainsi, la Fédération argentine des Églises évangéliques, l’une des plus grandes organisations évangéliques du pays, a publié le 9 novembre une lettre rejetant explicitement le programme électoral de Milei, et appelé les fidèles qui lui sont affiliés à s’informer soigneusement avant de voter.

En cause, le projet de porter librement des armes à feu et la création d’un marché pour les organes humains.

La lettre déclare :

"En tant qu’églises, nous sommes appelées par notre Seigneur […] à prendre un engagement inévitable en faveur d’une société qui garantit la justice sociale, la défense des droits de l’homme et la préservation de la création de Dieu."

Un homme s’identifiant comme catholique hostile au pape et en voie de conversion au judaïsme

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas de grand amour entre le pape François et son compatriote Milei et que les deux se sont échangés quelques mots doux.

Milei traite le pape de "communiste, de "fils de p… de gauche qui prêche dans le monde entier", d’imbécile et le qualifie de "représentant du mal dans la maison de Dieu".

De son côté, s’exprimant sur Milei, le pape a critiqué le libertarien auprès d’un journaliste progressiste et l’a comparé à Hitler, "un nouveau politicien, qui a parlé magnifiquement, qui a séduit le peuple."

Dans son livre "Un temps pour changer", le pape avait déjà comparé en 2020 le soutien à Trump à la montée du nazisme. Si Milei se dit catholique, il a déclaré à plusieurs reprises qu’il étudie le judaïsme et est accompagné par un rabbin.

L’homme à la tronçonneuse n’exclut pas de se convertir à la religion juive, mais déclare que l’observance du shabbat pourrait être un obstacle à sa conversion alors qu’il est censé être présent pour son peuple chaque jour de la semaine.

Le futur président se déclare par ailleurs admiratif de la façon dont les Israéliens "conjuguent le monde spirituel et le monde réel". Il entend d’ailleurs reconnaître à son tour Jérusalem comme capitale d’Israël et y déplacer l’ambassade d’Argentine.

Milei ne pourra toutefois pas s’appuyer sur un nombre suffisant de parlementaires, son parti n’ayant que 38 députés.

Le soutien et l’éventuelle participation de Bullrich à son gouvernement pourraient lui permettre de compter sur les 51 députés de la Proposition républicaine.

Jean Sarpédon

Crédit image : Creative Commons/ Flickr

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