Tribune : "Non, l’Arménie n’a plus rien à négocier avec l’Azerbaïdjan !"

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Pascal Portoukalian est un chrétien Français d’origine arménienne, installé à Yerevan (Arménie) depuis un an.

Ça commence enfin à rentrer ! Lorsqu’une femme se fait agresser dans la rue, au travail, ou dans les transports, l’argument "elle l’a bien cherché" est de moins en moins utilisé.

À force de le marteler, on commence à intégrer l’idée - encore très perfectible certes - que ce n’est pas de la faute de la taille de sa jupe, ni de son maquillage, ni de sa posture.

Mais de l’agresseur.

On ne peut pas se contenter de mettre l’agresseur et l’agressée au même niveau et mettre dans la balance la taille de la jupe.

Toute la faute revient à l’agresseur. Point.

En matière de relations internationales, et notamment dans le cas des relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, les partenaires internationaux ont encore du mal à appliquer ce précepte pourtant élémentaire !

On ne peut pas mettre les deux Etats sur le même plan.

L’Azerbaïdjan est une dictature dirigée par les Aliyev père et fils depuis 30 ans. Cela devrait nous interpeller. L’Arménie est une démocratie qui, bien qu’imparfaite, sait donner de la place à une alternance politique et a même eu droit à une révolution dite "de velours" en 2018.

Le pluralisme religieux en Azerbaïdjan est une façade. Avec 97% de musulmans et un régime autoritaire dur face aux voix discordantes, l’Etat n’a rien à craindre de la présence d’une église sur son territoire, église majoritairement acquise au roman national azéri. Ces chrétiens sont maintenus et utilisés comme faire-valoir. Il n’a rien à craindre non plus de faire les yeux doux à la communauté juive, dont les accords d’échanges d’armement versus gaz avec Israël constituent un baume efficace face aux dissonances spirituelles.

L’Azerbaïdjan emploie son système éducatif pour enseigner les petits Azéris à la haine des Arméniens. L’Arménie de son côté n’aspire ni à enseigner la haine des Azéris, ni à étendre son territoire, mais simplement à vivre en paix sur ce qui lui reste de ses terres ancestrales, à protéger son patrimoine et sa culture.

L’Azerbaïdjan réécrit une histoire qui pourrait paraître plausible aux non-initiés. Mais qui est grotesque pour tout historien même débutant. Parmi mille exemples, elle affirme que Yerevan, comme tout le territoire arménien d’ailleurs, sont des terres azéries qui auraient été volées par les Arméniens. En omettant de signaler que l’Arménie a plus de 3000 ans d’histoire sur ces terres, quand l’Azerbaïdjan a été inventée en 1918. Plus c’est gros, plus ça passe.

L’Arménie a déjà eu son lot de génocide et de nettoyages ethniques par l’Azerbaïdjan ou sa grande sœur turque. Elle s’est faite dépecée au fil des siècles, elle a continué à l’être avec la perte du Haut-Karabagh dans une quasi-indifférence internationale.

Elle est un vaillant soldat qui a su survivre à toutes les dominations - romaine, mongole, arabe, perse, turque, ottomane, russe, soviétique. Quasiment aucun autre peuple au monde n’a su se relever d’autant de tentatives de destruction ou d’assimilation culturelle et identitaire.

Mais tandis que cette courageuse jeune femme, belle, cultivée, intelligente, qui fait l’honneur de l’humanité, se retrouve encore une fois titubant, saignant de toutes parts, les vêtements déchirés, un bras à demi arraché, le visage défiguré, debout face à un agresseur surarmé, dévorant sa chair arrachée à pleines dents le 19 septembre dernier dans les montagnes du Haut-Karabagh, encore faudrait-il qu’elle justifie son désir de vouloir simplement vivre. Il lui faudrait encore faire la bise et offrir un dernier bout de cuisse pour que tout le monde puisse supposément vivre en paix.

Mesdames et Messieurs les observateurs et négociateurs internationaux, l’Histoire vous regarde. Que retiendra-t-elle de votre présence et de vos actions ? Que direz-vous à vos enfants et petits-enfants ? Quelle fierté auront-ils à votre endroit lorsqu’ils parleront de vous à leurs propres enfants ?

Il est de votre responsabilité de vous revêtir de lunettes adaptées, de désigner l’agresseur et l’agressée, et d’agir en conséquence. L’honneur de la démocratie et la définition de la liberté sont en jeu.

Pascal Portoukalian

Crédit image : Shutterstock / Andreanicolini

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