Accusations d’abus sectaires à l'encontre de l’église évangélique A.C.E.R.

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Depuis la deuxième semaine de septembre, des allégations d’abus au sein de l’A.C.E.R.(Assemblée Chrétienne pour l'Évangélisation et le Réveil), une union d’églises évangéliques africaines qui compte 2 000 membres dans différentes villes de France. Plusieurs signalements ont été effectués et la justice a été saisie.

Le 11 septembre dernier, RMC a indiqué avoir été alertée quant à des dérives sectaires par d’anciens fidèles de l’église évangélique A.C.E.R. Maria, une ancienne fidèle, a contacté "RMC s’engage avec vous" pour raconter comment elle aurait été ruinée par l’A.C.E.R. dont la principale église se situe à Montreuil, en banlieue parisienne, et est dirigée par le pasteur Alain-Patrick Tsengue qui se fait appeler "l’apôtre".

"En quatre ans, j'ai donné 9.000€. Ils mettent tellement la pression, ils vous appellent, ils vous harcèlent. Parfois, ils viennent en bas de chez vous. Mais ce n'est jamais suffisant, donc on donne toujours plus."

Maria affirme que des "familles s’endettent au nom de la guérison" ou encore qu’elle a été physiquement agressée. Elle a saisi la justice et n’est pas la seule à accuser l’A.C.E.R.d’abus sectaires. C’est aussi le cas de Brian, souligne RMC, un ancien responsable d’un groupe de jeunes durant trois ans qui a perdu son emploi parce qu’il était trop souvent absent en raison de ses activités religieuses et qui a quitté l’église en 2021 :

"Ils sont axés sur les chiffres et fonctionnent véritablement comme une entreprise. On nous réprimandait lorsqu’on n'atteignait pas les objectifs. Je m’étais tellement investi dans cette église que j’ai fini par tout perdre."

Si des fidèles parlent d’abus, d’autres défendent ces pratiques comme le dénonce sur X (anciennement Twitter) Sabari qui a fréquenté en ligne l’A.C.E.R. début 2021.

Accusations d’abus financiers et de manipulation des mineurs

Brian affirme avoir été abusé par son église à laquelle il a donné plus de 4 000 euros et a décidé de porter plainte. Lui et Maria ne sont pas isolées, une vingtaine d’anciens membres ont fait des signalements à la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) concernant un "isolement", des périodes de "jeûne imposé", "d’importants investissements financiers" forcés et des ruptures familiales.

Dans les quatre jours qui ont suivi l’émission de RMC, une quinzaine d’autres personnes ont choisi de témoigner et leurs récits auprès de la Miviludes abondent dans le sens des premiers, ils font notamment ressortir que "le groupe ciblerait plus particulièrement les jeunes et notamment les mineurs".

Maria explique avoir subi de fortes pressions telles que les appels des responsables qui l’appelaient sur la scène pour lui dire publiquement en plein culte qu’elle pouvait donner comme tout le monde. Elle ajoute que beaucoup de parents sont avec les gendarmes dans les locaux de l’église après que leurs enfants eurent vidé leurs Livrets A.

Sandrine appuie le témoignage de Maria quant à la manipulation des mineurs. Sa fille a rejoint l’A.C.E.R. en 2017 alors qu’elle n’avait que 14 ans, elle vit quasiment une situation de rupture avec sa famille et appelle le pasteur "dad" (papa en anglais) :

"Ses résultats au lycée étaient constamment en baisse, elle ne faisait plus ses devoirs. Elle semblait toujours fatiguée. Elle faisait des jeûnes réguliers, elle refusait de regarder la télé, de manger à table avec ses frères et sœurs. Et depuis ses 14 ans, elle ne passe plus de vacances avec nous."

Réaction de la Fédération protestante de France (FPF)

L’A.C.E.R. est membre de la Communauté des Églises d’expression africaine en France (CEAF), elle-même membre de la FPF. Dans un communiqué publié le jour même de la publication de RMC, l’organisation protestante a souligné l’importance de la liberté de conscience :

"La Fédération protestante de France (FPF) prend connaissance avec inquiétude de témoignages d'anciens fidèles de l'Église A.C.E.R. qualifiant de dérives sectaires certains comportements à leur encontre. Pratiquer sa religion, ou, dans l’exercice de sa liberté de conscience, changer de religion, ou bien affirmer des convictions athées, est une liberté fondamentale reconnue et garantie par la République [...] la FPF encourage toute personne qui s’estime victime de pratiques portant atteinte à sa liberté de conscience à les signaler auprès de la [...] Miviludes, et le cas échéant à porter plainte."

Quant à elle, la CEAF a convoqué Alain-Patrick Tsengue qui nie les accusations et parle d’une campagne de dénigrement qu’il décrit comme "la rançon du succès". Le pasteur a porté plainte contre une ancienne fidèle. Il est soutenu par plusieurs membres, selon RMC qui indique avoir reçu "de nombreux témoignages de soutien à l’église A.C.E.R."

Que dit la loi ?

S’il n’y a pas de définition légale de la secte en France, il existe des éléments constitutifs d’une dérive sectaire. Ces agissements, à condition d’être démontrés, sont sanctionnés par la loi du 12 juin 2001 qui vise à prévenir et réprimer les abus sectaires, et sanctionne notamment le fait de profiter frauduleusement "de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique".

La loi précise que l’élément matériel de l’infraction doit consister en des "pressions graves ou réitérées ou [des] techniques propres à altérer [le] jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables". Les faits ne sont pas toujours aisément qualifiables sur le plan juridique, et Maria a vu sa première plainte classée sans suite en mars dernier.

Informer la Miviludes pour protéger la société

De son côté, la Miviludes a décidé de saisir la justice. La Mission qui rend un rapport chaque année sur les phénomènes sectaires, a été créée en 2002, afin de renforcer la lutte contre les dérives de ce type dans différents milieux, qu’ils soient ou non religieux. L’observation et l’analyse par la Miviludes de ces comportements permet de mieux coordonner les actions de prévention et de répression en la matière ou encore d’informer le public.

Les personnes qui constatent des dérives sectaires peuvent en informer la Miviludes sur son site. Cette action ne saurait cependant se substituer au dépôt d’une plainte en justice. La Miviludes indique par ailleurs dans un document (p. 83 et suivantes) que toute personne qui a connaissance d’une situation préoccupante concernant un mineur doit en informer les professionnels de la protection de l’enfance.

Jean Sarpédon

Crédit image : Shutterstock / bluebeyphoto

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