Jinger Duggar, de la téléréalité d’une famille dogmatique à la foi libérée de la peur

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Dans son livre « Becoming Free Indeed » (Devenir effectivement libre) paru le 31 janvier dernier aux États-Unis, Jinger Duggar parle de sa libération spirituelle après avoir été sous l’emprise du pasteur Bill Gothard, accusé de diriger les fidèles dans les moindres détails de leur vie. La quatrième fille de la célèbre famille américaine chrétienne, qui a fait l’objet d’une émission de téléréalité, a écrit ce livre afin d’aider à démêler la foi des principes religieux.

Si l’on vous dit « L’Incroyable Famille Kardashian », il y a de fortes chances pour que ce nom vous évoque une émission de téléréalité, quand bien même vous n’en auriez jamais vu un épisode. Si l’on vous mentionne « Le Monde merveilleux de Hulk Hogan », vous reconnaîtrez peut-être le nom du célèbre catcheur, à défaut de savoir que lui et sa famille se sont offerts aux regards des téléspectateurs. Si l’on vous dit « 19 Kids and Counting », il est très probable que cela ne vous évoque rien du tout.

Et la famille Duggar ? Si ce nom n’évoque que peu de choses de ce côté-ci de l’Atlantique, hormis une affaire de scandale sexuel concernant le fils aîné, il est connu des Américains et évoque une famille chrétienne très conservatrice, dans un pays pourtant fortement empreint de religion.

Récemment, Jinger Duggar, l’une des filles de cette célèbre famille a publié un livre dans lequel elle parle de son voyage spirituel loin pourtant de l’enseignement religieux qu’elle a reçu (quelques pages sont consultables ici).

« J’ai grandi sous l’influence d’enseignements nuisibles qui m’ont rendue craintive et confuse concernant Jésus, et c’est l’histoire racontant comment j’ai dû séparer la foi de la peur », a déclaré Jinger.

La jeune femme dédie l’ouvrage à tous ceux qui ont été blessés par les enseignements de son ancien pasteur, Bill Gothard, ou d’autres pasteurs qui prétendent faussement parler au nom de Dieu. Elle prend cependant soin de ne pas s’en prendre à sa famille qu’elle souhaite aider à rejeter cette doctrine.

« 19 Kids and Counting », la famille Duggar montrée à l’Amérique

Jinger Duggar n’avait pas encore 10 ans lorsque les caméras de la télévision ont surgi dans sa famille pour l’émission « 14 Children and Pregnant Again » (14 enfants et à nouveau enceinte) en 2004. Après deux autres émissions, la famille a été suivie sept années durant, pour un total de 10 saisons, dans le cadre de l’émission « 17 Kids and Counting » (17 enfants, et ce n’est pas fini), dont le titre a évolué jusqu’au 19ème enfant. La singularité des Duggar avait attiré la chaîne TLC, propriété du groupe Warner Bros. Discovery.

Lorsque l’émission a débuté en 2008, Jim Bob et son épouse Michelle Duggar n’avaient que 17 enfants, sans parler d’une fausse couche et d’un décès in utero, et une autre fille devait voir le jour en décembre. Un an après elle, naissait le dernier enfant. Le couple avait rapidement cessé de recourir à la contraception, à la suite d’une fausse couche possiblement liée à la pilule selon le médecin, et avait choisi de laisser Dieu décider du nombre d’enfants, une résolution en accord avec leurs croyances religieuses.

Les règles sont très strictes dans cette famille baptiste officiellement non affiliée à aucun mouvement. La pudeur et la chasteté sont des valeurs importantes, parents et enfants ne portent pas de vêtements dévoilant les jambes en dessous du genou tels que des shorts ou des jupes courtes, pas plus que ne sont autorisés les débardeurs. Aussi, les filles doivent mettre des robes ; les jeunes couples ne sortent jamais seuls, ils sont accompagnés de chaperons, et ne peuvent s’embrasser pour la première fois que le jour du mariage. Les enfants du couple ne peuvent fréquenter de personne de l’autre sexe sans l’aval de leurs parents.

Selon Jim Bob, les filles souhaitaient fortement être accompagnées lors de leurs rencontres avec les garçons qui leur plaisaient. « C’est une responsabilité qui empêche vraiment les choses d’aller dans la mauvaise direction », affirme-t-il, soutenu par son épouse qui abonde en son sens « Avant de vous lier émotionnellement, vous voulez savoir au fond de vous-même qui est l’autre personne, et c’est plus facile lorsque plusieurs regards sont sur vous ». Selon elle, sa fille Jessa et son futur gendre Ben ont été chaperonnés par tous les garçons, même les plus jeunes dont le dernier n’avait que 10 ans quand les amoureux se sont mariés.

Une vie spirituelle marquée par la terreur

Cette absence d’intimité, Jinger l’a connue au point de n’aller au cinéma avec son mari, Jeremy Vuolo, qu’une fois mariée. Au cours de leur voyage de noces en 2016, ils ont regardé « The Truman Show », un film avec Jim Carrey campant un personnage dont l’univers est scénarisé à son insu, dans un spectacle de téléréalité.

Une fois le film terminé, Jinger s’est tournée vers son mari et lui a dit trouver que cela ressemblait à sa vie : comme Truman Burbank, elle avait grandi sous le regard des téléspectateurs qui avaient leur avis sur la façon dont elle devait mener sa vie. C’est en novembre dernier qu’elle a décidé d’écrire son quatrième livre, parlant cette fois-ci d’une libération psychologique et spirituelle.

Interviewée par Allie Beth Stuckey, du média BlazeTV, en amont de la sortie de son livre, Jinger a parlé de son cheminement spirituel. L’auteur présente le pasteur Gothard comme un enseignant qui a émergé dans les années 1960 et 1970 alors que le sexe, la drogue et le rock and roll devenaient des sujets d’inquiétude pour des parents. Le révérend a prétendu avoir les réponses aux problèmes de la vie et a présenté des principes qu’il fallait suivre pour être béni par Dieu, faute de quoi la vie serait une succession de désastres.

 

Les parents voulant des réponses binaires concernant l’éducation des enfants, les enseignements de Gothard se sont répandus, explique la jeune femme qui mentionne des stades remplis à travers le pays pour recevoir sa parole. Les fidèles venaient de divers milieux.

Parmi les enseignements du révérend, l’interdiction d’écouter de la batterie. Il prenait l’exemple d’un jeune décédé dans un accident de la circulation et qui aimait cet instrument, dénonce Jinger qui ajoute qu’il « parlait d’une modestie vestimentaire qui se situait hors de la Bible ». Elle explique que le pasteur ne donnait pas des suggestions à partir de ce qui aurait marché dans sa vie (il est célibataire, NDLR), mais faisait comprendre que si l’on ne se pliait pas à ses préceptes, on subirait une vie de tourments.

« Je pense que ce type d’enseignement était tellement fondée sur la peur, la superstition, la manipulation et le contrôle que je croyais, en tant qu’enfant grandissant dans cette voie, que Dieu était content de moi si je suivais tous ces principes, mais que sinon il était là pour me faire la peau, alors même que j’avais été sauvée à l’âge de 14 ans. Je savais que le véritable évangile n’avait rien à voir avec le salut par les œuvres, mais Bill Gothard fixait un scénario disant qu’il fallait suivre les étape x, y, z avant de venir à Dieu », raconte la jeune femme qui explique qu’elle voyait Dieu via ce prisme.

Ses parents, raconte-t-elle, ont toujours été soucieux d’enseigner le salut chrétien à leurs enfants, avec sincérité, mais la famille ne fréquentait aucune église, car il n’y en avait pas dans leur entourage géographique qui fût reliée à Gothard. La famille est donc devenue une petite église qui suivait les séminaires du révérend en guise de sermons.

Les petits pas vers la liberté : quand les yeux se dessillent

Lorsqu’elle avait 10 ans et participait à l’émission « 14 Children and Pregnant Again », un invité s’est introduit dans sa chambre et y a dérobé son journal intime pour le vendre à 100 000 dollars, ruinant ainsi sa confiance dans les autres. Une expérience qui l’a traumatisée.

Elle craignait toujours d’offenser Dieu sans le vouloir, par exemple en allant faire du sport avec ses sœurs au lieu de lire la Bible même si elle venait de tourner ses pages une heure durant : « Je commençais à être terrifiée en pensant, je ne sais pas ce que Dieu attend de moi. » C’est seulement lorsque son père lui a demandé de l’accompagner au sport qu’elle s’est sentie soulagée et n’a plus craint de mourir, car Gothard enseignait qu’il fallait toujours obéir aux parents considérés comme un « parapluie d’autorité ».

Ce parapluie d’autorité implique de vivre chez les parents, même adulte, tant que l’on n’est pas marié, afin de se préserver des attaques du diable, explique Jinger. En osant faire du sport avec son père, l’adolescente n’était pas libérée, elle restait dans un schéma de peur où la crainte était évacuée parce qu’un parapluie d’autorité validait son envie de sortir.

C’est après avoir épousé Jeremy, pasteur réformé, qu’elle a découvert un autre monde chrétien où elle pouvait exposer ses questions, sa vulnérabilité, et où les passages de la Bible étaient contextualisés sans ajout d’opinions présentés comme des dogmes.

Elle a ainsi compris que des histoires de la Bible ne la concernaient pas personnellement, mais le travail de démêlage de la foi et des préceptes avait déjà débuté lorsqu’elle et son fiancé avaient dû regarder des vidéos de Gothard à la demande de Jim Bob. Son futur mari lui avait fait remarquer tous les ajouts du révérend aux textes bibliques, notamment en matière d’intimité du couple.

Ses diverses discussions avec son fiancé lui ont fait réaliser que nombre de préceptes qu’elle croyait bibliques ne se trouvaient pas dans la Bible.

Gothard a été accusé en 2014 et 2016 d’agressions et de harcèlement sexuels par plusieurs femmes de son mouvement.

Jean Sarpédon

Crédit image : Capture d’écran YouTube

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